Une pratique de la psychologie clinique dans un territoire médical indifférent voire perplexe devant la dimension psychique

" le mot, outil essentiel du traitement psychique. Freud parlait donc bien d’un sujet certes malade mais bien d’un sujet sensible à "la force magique d’antan" des mots."

Article rédigé pour la Journée d’échanges et de débat organisée par  le Journal des psychologues avec le soutien de l’École de psychologues praticiens.
28 novembre 2015

Le titre de psychologue a 30 ans

Quel avenir pour la profession ?

Jean Paul Aubel
Psychologue hospitalier en pédopsychiatrie.

Introduction

La problématique que je vais évoquer aujourd’hui concerne la coexistence des pratiques médicales et psychologiques dans l’hôpital. Cette coexistence, loin d’être toujours pacifique, gagnerait à être portée au débat.
C’est pourquoi dans une première partie, j’exposerai l’écart épistémologique entre l’approche médicale et l’approche en sciences humaines de la santé.
Dans une seconde partie, je tenterai dans un parcours historique d’explorer l’évolution de cette coexistence en mettant en exergue le positionnement de la psychologie à l’hôpital.
Je conclurai par un appel à nous positionner face aux pouvoirs publics.

Un paradigme médical versus psychologique
Une pratique de la psychologie clinique dans un territoire médical indifférent voire perplexe ou résistant devant la dimension psychique.
La médecine, construite sur un paradigme dont l’objet d’étude est le corps, le fonctionnement des organes et les processus neurologiques, construite également à partir des sciences de la vie, développe une conception biologique de l’état de santé et ne se préoccupe pas de la dimension psychologique et subjective des maladies.
Limitant leur intérêt au corps, les médecins abandonnèrent, pendant la première moitié du 20 ° siècle, l’étude de l’âme aux philosophes. Plus tardivement la médecine moderne a eu l’occasion d’étudier le rapport indéniable entre le corps et l’âme mais avec surtout l’idée que l’âme était déterminée par le corps et avec l’idée que l’âme se réduirait à un ensemble de processus cérébraux.
S’il est acquis pour de nombreux médecins qu’il existe un rapport d’actions réciproques entre le corps et le cerveau, ceux-ci envisagent ce lien à travers leurs références théoriques.
Les derniers développements de la médecine en neurosciences ont montré qu’un ensemble de processus cognitifs étaient directement en lien avec des processus biologiques en action dans le cerveau humain. Brandissant comme preuve, une belle imagerie cérébrale, la médecine aurait pu nous faire croire qu’elle pouvait expliquer ce fameux rapport d’actions réciproques entre le corps et l’âme humaine. Mais cette perception reste centrée sur le seul registre du biologique dans une vision technicienne du malade. Quand un nouveau champ de recherche s’ouvre comme celui du fonctionnement du cerveau, le tropisme de leur corpus théorique fondamental pousse le monde médical, à l’explorer avec ce même corpus et à tirer des conclusions qui se veulent résolument scientifiques. 

Un paradigme psychologique dont l’objet d’étude est vu sous l’angle d’un sujet qui peut ou pas parler de sa maladie et de sa souffrance, donc sous un angle différent de la médecine.
Apres avoir décrit la conception médicale de la santé, il importe de présenter le paradigme psychologique, c’est avec S Freud en 1890 et la découverte de la psychanalyse que nous retrouvons les prémices d’une nouvelle psychologie.
Médecin de son état, S Freud parlait de traitement de troubles psychiques ou corporels à l’aide d’un moyen qui agit d’abord et immédiatement sur l’âme de l’homme. Et ce moyen c’est le mot, outil essentiel du traitement psychique. Freud parlait donc bien d’un sujet certes malade mais bien d’un sujet sensible à "la force magique d’antan" des mots.
La psychologie a donc entrepris l’étude de son objet en se concentrant sur le rapport d’actions réciproques du corps et de l’esprit pour un sujet qui pense, pour un être humain capable d’intériorité consciente et inconsciente. C’est à partir des sciences humaines et du langage que la psychologie édifie son corpus théorique avec d’autres méthodes et d’autres repères que la médecine pour envisager le soulagement et un traitement de la souffrance humaine.
A présent, abordons le parcours historique du positionnement de la psychologie et des psychologues.
Une première inscription institutionnelle de la psychologie en 1947 sous l’impulsion de D Lagache, médecin et philosophe.
Cette inscription se fait sur un coin de territoire en marge de la médecine. La psychanalyse et la psychologie clinique confirment leur prise en compte de la dimension psychologique avec la création de la licence de psychologie à l’université. Cette licence accrédite le métier de psychologue dans les établissements de santé.

1985 : une nouvelle inscription institutionnelle, le titre de psychologue et sa formation universitaire.
En 1985, l’exercice de la psychologie va être renforcé par la création du titre de psychologue avec la garantie d’une formation universitaire de haut niveau, à l’époque, un Diplôme d’études supérieures spécialisées, dans le champ des sciences humaines qui puisent ses racines aussi bien dans la philosophie que dans l’anthropologie.
Il faut rappeler que c’est en 1985 que l’assimilation des psychologues comme profession de santé a été envisagée, si ce projet s’était réalisé, cela aurait porté un sérieux coup à l’exercice de la psychologie clinique, à la prise en compte de la subjectivité et de la souffrance humaine puisqu’elle aurait perdu ses praticiens.
La question de l’intégration des psychologues dans le code de la santé a été posée lors de la création de ce titre de psychologue et c’est au nom de la pluridisciplinarité dans laquelle les psychologues devaient se profiler que leur autonomie professionnelle a été garantie. Les enjeux de la création de ce titre sont sur le fond, la mise en parallèle de deux mondes, avec des corpus théoriques très différents : les médecins et leur approche biologique ; les psychologues et leur approche en sciences humaines. Dans l’esprit du législateur, ceux-ci devaient à priori se compléter mais dans la réalité, ils vont s’affronter par ignorance ou par conservatisme. On doit à Y Durmarque, juriste, dans un ouvrage "les psychologues, un statut juridique à la croisée des chemins", en 2001, la remarque suivante : que la pluridisciplinarité glisse assez vite vers la plurifonctionnalité niant ainsi toute autonomie réelle au psychologue et par la toute la richesse des références épistémologiques des psychologues. On peut donc affirmer que la création de ce titre n ‘a pas évité les situations problématiques sur le terrain, faites de tensions, de conflits. C’est même source de gâchis dont nous pouvons parler puisque ceci a abouti à un non recours aux compétences des psychologues.
Une avancée réelle en 1991 quasiment un siècle après la nouvelle psychologie initiée par Freud : la dimension psychologique est reconnue dans la loi santé : l’article L711-1 du code de la santé publique précisait les missions de l’hôpital, le 2 août 1991.
Faisant suite au décret du 31 janvier 1991 portant statut particulier des psychologues de la fonction publique hospitalière) définissant les missions des psychologues à l’hôpital, la loi hospitalière du 2 Aout 1991 précise que doivent être pris en compte les aspects psychologiques du patient. Mais la loi reste muette sur la garantie que ce suivi soit fait par la psychologie en référence première. Là encore nous sommes devant une ambiguïté qui est de nature à créer une situation de malentendus et de conflits entre médecins et psychologues. On perçoit bien la une prudence, voire une résistance de la médecine à une possible expression de la psychologie sur le territoire médical.

Et pourtant la psychologie est bien celle qui a été sollicité pour traiter la
La souffrance humaine : nouvel objet de la psychiatrie. La preuve en est que c’est à ce moment-là que l’embauche de psychologues a été croissante dans les établissements de santé. C’est à ce moment-là aussi que se délimite le territoire de la psychologie et de la psychopathologie.
Je fais référence au travail d’Anne Golse dans son rapport de recherche, Mire, en 2002, Transformation de la psychiatrie et pratiques des psychologues, celle-ci note que de la crise de la psychiatrie qui se sépare de la neurologie en 1968, va émerger un nouvel objet consensuel : la souffrance psychique qui dépasse l’objet santé mentale devenu trop étroit pour rendre compte des états de santé des patients. Je cite :"Cependant prenant acte de ces transformations, le nouvel objet consensuel de la psychiatrie amène l’objet du côté de la souffrance humaine dans le droit fil de la voie anthropologique ouverte par la psychopathologie mais au prix de ce danger psychiatricide que représentait cette extension pour Henry Ey".
Elle ajoute que "cet élargissement de l’objet dessine une sorte de nouveau territoire, la réalité psychique, dont on pourrait dire qu’il se substitue à l’organicité ou à la somaticité abandonnées".
Avec Anne Golse, nous pouvons nous questionner sur ce nouveau territoire vierge : quel est-il ? Et quel rôle occupe le psychologue ?
Le psychologue aujourd’hui s’est affirmé comme un acteur de première ligne du soin psychique centré sur une conception de la psyché et sur une discipline, la psychopathologie dans une démarcation complémentaire et essentielle du médical. Le psychologue est un acteur central du soin psychique, fait entériné par la loi de 85 et le décret de 91 qui constituent un socle pour exercer dans le territoire de la santé tout en étant distinct des professions de santé. La reconnaissance juridique renforce l’exercice des psychologues sur ce nouveau territoire.
Un certain nombre de psychologues s’appuient sur leurs références essentielles, les sciences humaines et exercent de façon responsable et autonome les soins psychiques à coté de nombres de psychiatres qui ont compris l’intérêt de la contribution de cette profession et qui se situent dans un discours constructif autour du patient.
Le psychologue est un élément essentiel des équipes de soins en psychiatrie, principalement en pédopsychiatrie et aujourd’hui dans les pôles MCO car il anime une réflexion clinique, apporte son éclairage en psychopathologie, offre au sujet en souffrance une possibilité de parler de son mal être pour le dépasser et ainsi la possibilité de soins psychiques par l’écoute et la parole.
Le psychologue est depuis des décennies celui qui a pris en charge les psychothérapies dans le service public. Sa formation post universitaire est reconnue de tous. Le psychologue, acteur principal de l’exercice des psychothérapies bien avant que l’état ne légalise un titre de psychothérapeute dévalué s’est donné les moyens de les assumer en toute responsabilité avec un travail d’analyse personnelle, avec un engagement dans des séminaires théorico cliniques, une supervision ; une formation continuée (la recherche, les publications et une participation active à des colloques).
Le revirement
Mais depuis une dizaine d’année, nous pouvons constater un revirement important. En effet il faut expliquer ce revirement par la résistance du monde médical à l’acceptation de la psychologie et des psychologues dans le monde de la santé. Deux faits ont été marquants ; la loi HPST (hôpital, patient, santé territoire) en 2009 abroge la référence de la prise en compte des aspects psychologiques. La loi réglementant le titre de psychothérapeute en 2010 a confirmé la tentative de médicaliser les psychologues en amenant l’exercice des psychothérapies dans le champ de la médecine exclusivement.
Face à ce revirement, la mobilisation de la profession a permis que les psychologues obtiennent automatiquement ce titre tout en restant à leur place en dehors du champ médical. Récemment, le positionnement des psychologues plus affirmé a permis de réintroduire la référence aux aspects psychologiques dans la loi santé actuellement en discussion.
On constate que l’identité de la profession avec ses références théoriques se construit petit à petit dans ce territoire maintenant défriché mais encore en chantier.

Ce qui se révèle en filigrane de ce parcours sinueux avec la médecine autour de la santé de nos concitoyens, c’est un grave défaut de réflexion globale et éthique des politiques gouvernementales sous influence de la médecine sur la question de la santé publique.
Plus grave encore, les gouvernements successifs mènent une politique de santé sous la pression des lobbies médicaux et pharmaceutiques qui alimentent une vision “biologisante” d’un grand marché de la santé et rejette tout ce qui n’est pas médical.
Récemment, un député, D Robillard a tenté d’introduire dans le projet de loi santé l’idée d’un projet psychologique à côté du projet médical et social en faveur du patient. Cette proposition a été retirée du projet de loi santé par un vote au sénat sous prétexte que les psychologues n’étaient pas inscrits dans une profession de santé donc hors code de la santé. Par conséquent le positionnement de la psychologie, sur ce territoire n’est pas encore solidifié.

En conclusion de mon développement, le cheminement de la psychologie clinique, initié pourrait-on dire par un médecin, psychanalyste, à côté de la médecine, est constant depuis un siècle, comme on peut le voir, il est parsemé d’écueils, de crises, de transformations, de questionnements, cela vient aussi bousculer quelque fois l’édifice théorique tellement puissant de la médecine qui aura pour effet de renforcer aussi son conservatisme.
La psychologie clinique et plus particulièrement la psychopathologie sont bel et bien présentes avec les psychologues sur le territoire de la santé par les réponses efficaces qu’elle apporte dans la prise en charge des soins psychiques.

Au nom de notre responsabilité professionnelle et de notre éthique de la relation, la profession toute entière se doit de faire des propositions aux pouvoirs publics : apporter une réponse institutionnelle à la prise en compte de la souffrance humaine dans ce rapport réciproque corps/esprit, par les disciplines récentes telles la psychopathologie, la psychologie en dehors d’une assimilation à la médecine
Enfin nous proposons le développement de ce territoire psychologique à côté du territoire médical.

Une première préconisation serait d’élaborer une vraie politique de santé publique innovante en permettant une mise à niveau des missions de santé publique (refonte du code de la santé) conformes à la définition de la santé de l’OMS : « La santé est un état de complet bien-être mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité… ».et une amélioration de la qualité des soins psychiques.
Une seconde pourrait être la création dans les institutions de santé d’un pôle de psychopathologie clinique en lien avec la recherche universitaire en psychologie clinique et psychopathologique afin de développer des méthodes et outils pour une meilleure compréhension de la vie psychique. Ces pôles pourraient être sous la responsabilité d’un psychologue, enseignant chercheur ayant acquis le doctorat ad hoc.

Jean Paul Aubel
Psychologue hospitalier en pédopsychiatrie.

Article rédigé pour la Journée d’échanges et de débat organisée par  le Journal des psychologues avec le soutien de l’École de psychologues praticiens.

Le titre de psychologue a 30 ans

Quel avenir pour la profession ?

 

Paris – Le 28 novembre 2015

Vos commentaires

  • Le 6 mai 2017 à 08:53, par psycho En réponse à : Une pratique de la psychologie clinique dans un territoire médical indifférent voire perplexe devant la dimension psychique

    A cette date, le projet psychologique avait été retirée du projet de loi santé par un vote au sénat sous prétexte que les psychologues n’étaient pas inscrits dans une profession de santé donc hors code de la santé.

    In finé, il a été inscrit dans la loi santé : Article L 6143-2 du CSP

    Le projet d’établissement définit, notamment sur la base du projet médical, la politique de l’établissement. Il prend en compte les objectifs de formation et de recherche définis conjointement avec l’université dans la convention prévue à l’article L6142-3 du présent code et à l’article L 713-4 du code de l’éducation. Il comporte un projet de prise en charge des patients en cohérence avec le projet de soins infirmiers, de rééducation et médico-technique, ainsi qu’un projet psychologique et un projet social. Le projet d’établissement, qui doit être compatible avec les objectifs du schéma d’organisation des soins, définit, dans le cadre des territoires de santé, la politique de l’établissement en matière de participation aux réseaux de santé mentionnés à l’article L 6321-1 et d’action de coopération mentionnée au titre III du présent livre.