La psychanalyse est la seule science véritable

La psychanalyse est la seule science véritable
Brève réponse d’urgence philosophique à la police de l’administration scientifique promue par l’AERES
À propos aussi de la « jobardise des psychologues » selon le Nouvel Observateur
Réponse aussi à Jean-Pierre Pétard, Marie-Claude Lambotte, Georges Oppenheim, Thierry Ricou

Le titre principal dont nous partons semble de l’ordre d’une provocation, et nous le savons parfaitement.
Cependant, on peut soutenir que le paradoxe peut en certains cas s’avérer - paradoxale-ment - d’un contenu plus juste que celui de l’apparence de vérité qu’il contrarie.
Les adversaires de la psychanalyse soutiennent couramment la thèse qu’elle n’est pas une science, qu’elle n’a rien de scientifique, etc.
Or, on peut soutenir tout aussi bien l’antithèse que la psychanalyse non seulement puisse être une science, mais même la seule science véritable, à l’envers des sciences objectives au paradigme desquels les adversaires de la psychanalyse l’opposent de façon monotone.
J’ai soutenu précédemment plusieurs thèses que je rappellerai ici seulement pour mémoire.
En principe, la « vérité », incontestable pour moi, de la psychanalyse n’a rien d’incompatible avec celle, éventuelle, des neurosciences. Ces deux vérités ne sont pas du même « ordre », au sens où Pascal considère comme fondamental de distinguer des ordres de vérité, par exemple, mais sans exclusive, ceux délimités par ce qu’il appelle l’esprit de finesse opposé à l’esprit de géométrie. La psychanalyse et la neuroscience ne parlent pas du même objet, mais de deux versants différents dans l’être-là de l’homme (son Dasein) dont rien n’empêche qu’on puisse les envisager comme coordonnables.
Ceci étant, la psychanalyse est vraie de mon point de vue, que la neuroscience soit envisageable comme vraie ou fausse, donc quelle que soit la valeur de vérité de cette dernière. Il me souvient que Jacques-Alain Miller a soutenu jadis la même chose à propos des rapports entre la psychanalyse et le marxisme : la première resterait vraie, d’un savoir meilleur comme dit Hegel (bestes Wissen), que le second soit vrai ou faux. Savoir meilleur, parce que ce toujours vrai est plus vrai qu’un vrai-faux, qu’un faux-vrai.
Cela s’appelle en logique l’opération dite « implication » : la neuroscience, vraie ou fausse, tout comme le marxisme, vrai ou faux, « impliquent » la psychanalyse, en tout état de cause vraie.
J’ai soutenu aussi que la neuroscience a pour objet le corps-machine, ou mieux peut-être « le corps biotechnologique » selon une expression récente de Robert Samacher, tandis que la psychanalyse envisage le sujet, la psyché en lien problématique avec cette machine vivante qu’est le corps humain.
Cette perspective part clairement de Descartes pour qui l’homme est un corps machine en liaison dialectique et paradoxale avec un « sujet » - le mot est déjà de lui - saisi à la fois, de manière elle-même dialectique, comme inconscient aussi bien que libre et responsable.
La référence à un sujet inconscient, pour une grande part inconscient, à propos de Descartes pourra beaucoup surprendre et même sembler totalement arbitraire. Disons rapidement que cette perspective a été soutenue par Albert Rivaud, l’un des plus grands historiens de la philosophie qu’ait connus la France (1962).
Revenons plutôt à l’explicitation de l’antithèse dont il a été question tout juste plus haut : la psychanalyse comme science, et même seule science véritable.
La science moderne, dont le paradigme est grosso modo produit par Descartes, s’appuie sur deux postulats : l’analyse et la distanciation, soit encore la double séparation de l’objet, à l’égard tant du contexte d’univers de celui-ci que du sujet savant.
Du premier point de vue, la science, chaque forme de science suppose un type coordonné d’objet partiel et délimité, dans un domaine ou un champ de phénomènes séparé comme en droit indépendant : la physique, la médecine, la mécanique, la morale, comme dit Descartes dans sa fameuse définition de la philosophie de la Lettre-Préface des Principes de la philosophie.

Deuxième postulat, cet objet doit être envisagé à distance du sujet, comme mis en intervalle avec celui-ci. C’est à ce prix que s’effectue, de manière quelque peu tautologique, ce qu’on appelle l’ « objectivation », que s’installe l’ « objectivité ».

Ces deux exigences se retrouvent dans un certain nombre de notions fondamentales de l’épistémologie cartésienne : natures simples, idée claire et distincte, évidence, enchaînement déductif des propositions, énumération de tous les cas possibles, analyse et synthèse, séparation-union de l’âme et du corps. De telles notions restent évidemment le pain quotidien de la métho-dologie scientifique générale.

Or ces deux thèses cardinales de l’objet partiel d’une part, séparé d’autre part peuvent tout aussi bien s’envisager également selon l’antithèse. Ceci étant, la plausibilité de l’antithèse ne signifie pas pour autant pour nous le rejet, l’invalidation de la thèse. Toutes deux pourraient être relativement vraies, et se compléter, ce qui d’ailleurs n’est pas garanti a priori mais doit faire l’objet d’un examen.

Premièrement, la vérité touchant l’objet ne saurait être que concrète, ce qui suppose qu’elle soit complète et totale, et ce qui implique enfin que l’objet partiel soit rattaché à l’ensemble de son contexte, disons même à cet objet total qu’est l’univers. Cette manière de penser est clairement soutenue par Hegel contre Descartes, mais elle est se rattache à une tradition très ancienne, le Platon du Timée opposé à celui des Idées de la République, la cosmologie interactionniste du stoïcisme. Elle se trouve aussi réalisée d’une certaine manière dans l’Idée encyclopédique du XVIIIe siècle dont Hegel a reçu consciemment l’héritage.

Or cette mise en contexte de l’objet partiel dans l’univers global est impossible pour des raisons aussi bien philosophiques que scientifiques, métaphysiques que physiques.

Du point de vue métaphysique, ou disons encore épistémologique, j’ai déjà soutenu ailleurs l’idée que le sujet de la science ne saurait s’envisager comme en dehors et à distance de l’univers comme objet total, puisqu’il fait justement partie de cet univers. On se trouve ici en présence d’un cercle qui semble être celui de la science en général : l’objet partiel est incomplet, arbitraire et forcément abstrait, cependant que l’objet total, en soi complet et absolument concret est irréel, parce qu’impossible à poser et à s’opposer par le sujet observateur.

La notion d’une vérité objective de la science, de la possibilité même d’une science objective semblerait donc toucher ici à une forme d’impossible. Il n’y a pas de vérité objective de la science, pas de science véritablement objective, il n’y a, d’un point de vue logique, aucune science possible de l’objet, ni partiel ni total.

Par ailleurs, du point de vue physique, les descriptions contemporaines touchant les dimensions spatiales aussi bien que temporelles de l’univers sont impressionnantes, et viennent à l’appui de ce postulat d’impossibilité de la maîtrise d’un objet total.

Du point de vie spatial, le fait de l’expansion de l’univers, avéré par certaines mesures touchant l’éloignement constant et progressif d’importantes masses de celui-ci, nous met en présence de l’impossibilité de principe de jamais pouvoir rattraper la limite de l’univers, de sorte à pouvoir se mettre en dehors, même en pensée, de celui-ci.

Du point de vue temporel, les discussions récentes sur le phénomène très popularisé du bing-bang originaire mettent l’esprit devant une autre forme d’impossible. À entendre les spécialistes dans les émissions télévisuelles ad hoc, on parviendrait à approcher cet événement cardinal de l’origine absolue à quelque millionième de millionième de seconde de son punctum, mais pas davantage : ce qui se trouve en deçà semble échapper par principe à l’observation tout autant qu’au calcul.

Donc une science globale de l’univers comme objet total paraît en soi impossible, il n’y aurait de science que de secteurs partiels de l’univers, mais qui ne peuvent prendre signification qu’à être référés à l’univers comme objet total. On tourne donc en rond, devant un constat d’impossibilité de principe d’une science cosmologique cohérente, et ceci dans une forme d’antinomie qui ressemble tout à fait aux antinomies de la Critique de la raison pure de Kant touchant le double caractère limité tout comme illimité de l’espace et du temps de la physique newtonienne (1ère antinomie).

La seconde thèse du paradigme cartésien de la science moderne, celle de la mise à distance de l’objet, celle de l’objectivation par prise d’intervalle entre le sujet et l’objet, peut tout aussi bien être confrontée à l’antithèse.

On peut soutenir que la vérité de l’objet a pour condition l’état de proximité maximale de celui-ci par rapport au sujet plutôt que sa mise à distance.

L’évidence en tient au fait que la conscience de soi comporte par son intimité même plus de transparence, de sécurité que la conscience tout court, entre autres la conscience de l’objet externe. Par ailleurs, toute conscience de l’objet extérieur peut certes se présenter comme le premier degré d’une conscience de soi regardant l’objet, d’un degré dérivé et plus perfectionné que la conscience d’objet. Mais tout aussi bien, la conscience de l’objet peut apparaître comme dérivée par rapport à une conscience de soi plus fondamentale. Et c’est bien ce que nous dit Descartes dans son Cogito ergo sum : même si les objets de ma pensée consciente n’existent pas, ce qui reste exister c’est au moins la pensée consciente que j’ai de moi existant, de mon existence en ce moment. La conscience de soi résiste à l’hypothèse de l’abolition de la conscience de l’objet.

Ce point est d’une importance essentielle par rapport à la définition d’un objet de la psychanalyse. Cet objet est d’abord l’objet psychique-animique (seelich), l’objet-sujet psychique-animique, le sujet psychique-animique, disons le Présent Vivant - comme dit Husserl - de la Psyché-Anima (Seele) dans l’interaction du transfert lié au contre-transfert. La métapsychologie s’ouvre alors le champ d’un sujet vécu à partir d’un moi conscient relié à et procédant de l’ensemble d’un appareil psychique-animique inconscient. Ce dernier se présente tout aussi bien comme le Sujet psychique-animique dans son ensemble que comme un Autre objet, mais dans l’espace subjectif, cependant tout aussi consistant que l’objet extérieur. Cette façon d’argumenter se trouve dans des textes classiques de Freud (L’inconscient, 1915, etc.). Elle consiste à produire tout simplement le fait que « Je suis un Autre », comme dit Rimbaud, mais un Autre subjectif, psychique-animique, néanmoins tout aussi consistant, aussi résistant, aussi objectif, que l’Autre du monde externe, que l’altérité mondaine.

On ne voit pas pourquoi le savoir touchant un objet situé dans une proximité absolue à l’égard du sujet collectif observant et théorisant - l’analysant dans le rapport réciproque à l’analyste - se verrait a priori refuser le nom et le statut de science. Un tel concret est de soi universalisable. J’ai proposé ailleurs que la psychanalyse puisse s’envisager comme science des principes universels d’une certaine espèce du cas singulier, un savoir découvrant et produisant de l’Universel à même une certaine variété de Concret, soit le matériel psychique-animique.

A partir de là se pose de manière particulière mais décisive la question du rapport de la psychanalyse comme science du sujet à l’ensemble des sciences objectives, qu’il s’agisse aussi bien des sciences humaines que des sciences de la nature.

Du point de vue du matérialisme, il est indéniable que le sujet réfère en priorité à l’objet, en ce sens la Psyché tire son origine d’une certaine forme d’organisation de la nature objective. Mais c’est tout de même également la vérité tout aussi profonde d’une certaine tradition de l’idéalisme philosophique que de référer réciproquement au sujet, en particulier en posant que les sciences de l’objet trouvent leur base dans une certaine organisation du sujet, laquelle fournit son thème à une Doctrine du Sujet, à une science de la Psyché consciente-inconsciente dont on voit pas pourquoi on refuserait le droit à la psychanalyse justement de s’en prévaloir.

Plusieurs suggestions de Freud vont nettement en ce sens.

On propose de commencer par un texte plutôt étrange des Nouvelles conférences d’Introduction à la psychanalyse (1932) où Freud écrit de façon aussi audacieuse qu’énigmatique ce qui suit :

« À strictement parler, il n’y a que deux sciences, la psychologie, pure et appliquée (reine und angewandte), et la science de la nature… La sociologie ne peut être que de la psychologie appliquée (angewandte Psychologie). »
Freud entend ici que la psychanalyse est la véritable psychologie, à distinguer de ce qu’il appelle d’habitude la psychologie universitaire (Schulpsychologie), et que cette vraie psychologie rassemble en droit sur sa base, voire en elle-même, l’ensemble des sciences humaines et sociales, ceci à côté du continent particulier que reste la science de la nature. Freud entrevoit dans cette perspective l’importance des applications de la psychanalyse aux formations sociales, sous forme de ce qu’il n’hésite pas à appeler la sociologie, et qu’il peut appeler ailleurs « psychologie collective », « psychologie sociale » (Kollektivpsychologie, Sozialpsychologie).
Ce texte ne se situe pas du tout dans la tradition le plus souvent citée où Freud présente la psychanalyse comme une science de la nature. Ici au contraire, il faut entendre que dans le couple « hégélien » science de la nature/science de l’esprit, Freud verse au crédit de la science de l’esprit (Geisteswissenschaft), l’ensemble des disciplines psychologiques, dont la psychanalyse. Ce qui forme l’antithèse de la thèse - complémentaire -, que l’on vient de mentionner.
Un autre texte très célèbre de Freud qui irait encore plus loin que celui qui vient d’être cité est celui de 1913 sur L’intérêt de la psychanalyse, parmi d’autres, dont l’enjeu consiste à montrer que celle-ci comporte de soi une dimension interdisciplinaire offrant, dans la perspective de « la synthèse des sciences », des prolongements naturels vers toutes celles-ci, aussi bien celles de la nature que celles de l’esprit : la biologie, la médecine, la psychiatrie, la psychothérapie, les formes de psychologie normale, de la vie quotidienne, individuelle, de la personnalité, clinique, pathologique, génétique, collective, sociale, des peuples et des formations culturelles : art, religion, éthique, droit, philosophie, la linguistique aussi, la mythologie, l’histoire du folklore, l’histoire de la civilisation, la préhistoire même. Ici la psychanalyse, qui « pour objet la psyché individuelle » (1913), est pourtant envisagée dans une perspective absolument encyclopédique, qui l’articule à la science de la nature tout en offrant « un pont vers les sciences de l’esprit » (Brücke nach die Geisteswissenschaften). De fait, le Sujet inconscient est aussi le sujet représentatif, le Je pense (le Ich denke kantien, le Geist hégélien), en connexion avec l’ensemble du monde des objets. Le tout du sujet est l’image en miroir du tout de l’objet, fait pont (Brücke) avec l’objet total. Le savoir sur sujet ouvre de soi et de proche en proche au savoir sur l’univers.
S’il en est ainsi, la psychanalyse comme science de la psyché individuelle et collective, « nouvelle forme de psychologie » (neue psychologische Disziplin, neue Seelenkunde), « psychologie des profondeurs » (Tiefenpsychologie), « psychologie du moi, de l’inconscient, du ça (Psychologie des Ichs, des Unbewussten, des Es) », « science de l’âme, de l’inconscient psychique (Seelenkunde, Wissenschaft von seelisch Unbewussten ») est bien la reine des sciences, en tant qu’elle offre leur fondement, sous forme du Sujet conscient-inconscient, à l’ensemble des autres sciences.
De la sorte, la science du sujet offrant support à toutes celles de l’objet, la psychanalyse se présenterait comme la seule science véritable, par opposition aux autres sciences, qui seraient d’un ordre de vérité plus dérivé, plus approximatif, plus relatif, plus idéologique même. Cela, idéologique, Freud - sauf peut-être pour la psychologie universitaire (la Schulpsychologie), la philosophie de la conscience, et la médecine organiciste qu’il rencontre alors - ne l’assume pas, ne saurait l’assumer à son époque de foi absolue dans la science, même relativiste, ce qui n’est plus du tout notre cas : nous inclinerions vers une position plus sceptique, en réalité de tradition platonicienne, puisque Platon n’envisageait comme science véritable que la mathématique, en lui opposant les autres savoirs comme des variétés de l’opinion, des espèces de la doxa, dont d’autres espèces peuvent être la poésie, la sagesse populaire, le discours politique, les recettes orales des techniques et des métiers artisanaux.
J’ai déjà développé ailleurs qu’il n’est pas question de mettre en doute l’existence ni l’efficacité des technologies contemporaines, sans d’ailleurs oublier un vaste cortège d’effets pervers, mais que ce que l’on appelle par ailleurs « la science », dans l’esprit d’un genre nouveau désigné par le mot de « technoscience », couvre un champ beaucoup plus vaste d’effets de discours venant former une énorme superstructure de matière molle, de software idéologique - au sens de ce « bavardage quotidien » (das Gerede) pointé par Heidegger dans le monde de la technique - venant faire chapeau sur cette incontestable base de hardware technologique.
La « science » dans le contexte postmoderne de la technoscience, c’est bien souvent le beurre et la confiture du « scientisme » venant recouvrir, pour la faire mieux avaler par la distribution idéologique et commerciale, la tartine des technologies.
Ma collègue Marie-Claude Lambotte, à qui je brossai rapidement ces vues au cours d’une soirée ces temps derniers, m’a objecté aussi la solidité des grandes doctrines acquises par la brillante histoire des sciences de la première moitié du XXe siècle (Planck, Bohr, Schrödinger, Einstein). Certes, mais ces brillantes acquisitions, tout en restant relativement valides, n’œuvrent plus comme telles dans la pointe active du développement contemporain de la technoscience, elles appartiennent bien plutôt à l’histoire de la pensée scientifique, à justement l’ « histoire de la civilisation », dont la perspective même réfère à la substructure d’un sujet psychologique et social, précisément justiciable en tant que tel d’une approche définissable et à définir par la psychanalyse appliquée aux formations culturelles.
On rappellera en passant que, dans une perspective certes différente mais homologue, Piaget envisageait sa propre psychologie comme le noyau et la base active d’un cercle des sciences opérant selon le circuit psychologie-logique-mathématique-physique-biologie-psychologie, etc. ce qui revient aussi à enchâsser les sciences objectives dans la substructure d’un sujet, d’ailleurs défini comme en grande part inconscient, fût-ce de nature strictement cognitive, au lieu de pulsionnelle-cognitive à la manière freudienne, ce qui est autre chose. Piaget forme la même idée que celle développée plus haut d’une Science du Sujet faisant « pont », articulée à la série des sciences morcelant l’objet total.
Cette audace qui pousse parfois Freud à présenter la psychanalyse comme la Science, la reine des sciences, le cadre encyclopédique de toutes les sciences, il est évident que la psychanalyse française en est aujourd’hui à mille lieux. Elle subit les coups dans les cordes du ring. Mais cela a été en grandes partie sa faute. Mais si au moins les propos précédents pouvaient contribuer à ce qu’elle relève un peu plus fièrement la tête, on en serait très heureux. J’ai entendu parler ces temps-ci d’un psychanalyste de très grand renom, à mon avis le dernier qui reste de la très grande école française disparue, qui daubait encore sur la philosophie lors des soutenances de thèse. Cela m’a fort étonné de sa part, et je trouve la chose absolument consternante. Cela ne se passe pas à Paris, et on ne saura pas son nom. Immense erreur à l’époque où nous en sommes rendus.
Dans l’esprit de tout ce qui précède, je vais me permettre de proposer une paraphrase plausible du fameux texte de Descartes, tiré de la Lettre-Préface des Principes de la philosophie, sur l’arbre de la science, et dont il est regrettable à mon avis qu’elle serve d’enseigne à la navrante université hégémonique - pour ce qui est de la psychologie - de René Descartes Paris V, ne fût-ce que sur son cachet officiel, qui représente l’arbre de l’église des Cordeliers de Toulouse. J’ai gardé en italiques les propos authentiques et originaux.
Toute la science (philosophie) est comme un arbre dont les racines sont la psychanalyse (métaphysique), le tronc est la psychologie véritable (la physique) et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, la science de l’homme, la science de la nature et l’éthique (la médecine, la mécanique et la morale), j’entends la plus haute et la plus parfaite éthique (morale) qui, présupposant, outre la cure analytique, une entière connais-sance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse.
Le dévoiement total, depuis les dernières élections présidentielles en France, de techniques jadis prises plus au sérieux par la psychométrie et la psychologie sociale, telles que celles des questionnaires et des sondages d’opinions, a de quoi donner à réfléchir sur ce que sont certaines applications de la science, et peut-être le concept même d’une science objectives du subjectif. J’ai déjà cité ailleurs l’opinion d’une psychanalyste-neuropsychiatre de talent, fille elle-même d’un père de renom dotés des mêmes titres - de ces gens qui ont dans l’approche des enfants l’œil d’un Winnicott ou d’une Dolto, me disant qu’un praticien bien affuté de la psychanalyse se trompe en général plutôt moins dans sa pratique qu’un autre soi-disant spécialiste des sciences humaines dans son propre champ, tel par exemple que celui de la prospective économique. La période de la dernière grande crise financière a donné de quoi rire à ce sujet. Et ce n’est probablement pas fini.
L’un de mes amis, mathématicien de haut niveau, a souvent coutume, lorsqu’il est avec moi d’humeur chichiteuse, de me bassiner avec la question déjà anciennement connue des preuves expérimentales de la psychanalyse, ce qui revient à ce que nous avons appelé plus haut, à propos de Pascal, mêler les « ordres de vérité ». Des tentatives de cet ordre ont existé depuis assez longtemps (Jalley : La psychanalyse et la psychologie aujourd’hui en France, p. 199-200 ; La guerre de la psychanalyse, 2, 2008, p. 752). Elles ne sont guère plus convaincantes, quant ce n’est pas risibles, que les stratégies d’un canard qui viendrait de trouver un couteau.
Je passe à un autre sujet, ou plutôt à un autre aspect de notre sujet, qui va consister à mettre en évidence ce que j’ai appelé plus haut la composante idéologique de la technoscience contemporaine.
Les découvertes scientifiques sont la plupart du temps diffusées dans le public sous la forme de courtes histoires (short stories) de quelques lignes, en général dans les hebdomadaires d’un certain niveau intellectuel et destinés à un public moyennement cultivé. Tout le monde voir à peu près ce que je veux dire.
Le caractère partiel, étroitement localisé, de vérité ponctuelle et comme anecdotique de ces perles de savoir est ce qui frappe en premier lieu. Ce sont des grains de « vérité » dont il faut beaucoup pour faire un sac de culture.
Ce qui peut frapper aussi, pas toujours, mais souvent, c’est un certain ton qui fait se demander si la chose est présentée comme absolument sérieuse ou plutôt à la manière d’une mystification, d’une blague, d’un Witz, d’une de ces histoires juives dont on sait que Freud avait toute une collection notée dans des carnets. Mais le mieux est de passer à un exemple dont le lecteur va se demander immédiatement si c’est de la figue ou du raisin, ou encore, permesso, du lard ou du cochon. Voilà ce qu’on trouve dans Marianne n° 656 du 14-20/11/2009, page 40 :
« Bison foutu ou le gène du chauffard : En Californie, le Dr Steven Cramer et son équipe ont pratiqué des tests sur un groupe de 29 personnes afin d’établir la présence dans le corps de certains individus d’un « gène du mauvais conducteur » ! Publiée dans le journal Cortex, l’étude tendrait à montrer que les mauvais conducteurs possèdent un gène commun. Sur les 29 personnes, 7 possédaient un gène variable (gène non commun à tous les individus), alors que les autres ne l’avaient pas. Un test de conduite a ensuite montré que les 7 personnes possédant ce gène variable commettaient 20 % d’erreurs de plus que les autres. Le gène concerné affecterait la mémoire. Le Dr Cramer explique qu’il serait curieux de connaître la séquence ADN des personnes impliquées dans un accident de voiture, sachant que 30 % des Américains seraient, au vu de l’étude, porteurs de ce gène ».
Cela n’a pas donc l’air d’être une blague, bien que le journaliste présente la chose de mani-ère ironique et facétieuse.
On notera le caractère aventureux, l’intrépidité même d’une démarche expérimentale sommaire, animée par une hypothèse intellectuelle d’une naïveté déconcertante, proche même de la sottise, à chercher des corrélations entre des séries de faits complètement hétérogènes, également le ton suppositif, conditionnel, mais non moins précipité et comme péremptoire, enfin la généralisation intempestive à une population de quelque 200 millions d’habitants, avec en prime et au bout du compte la proposition pratique finale d’un contrôle de caractère policier.
Tout est une question de conditionnement mental, de belief culturel. Les même personnes qui avaleront sans broncher ce genre des discours s’esclafferont bruyamment lorsqu’un expliquera la conduite d’un enfant en termes au moins tout aussi évidents et recevables, du point de vue de l’observateur venu de Sirius, de complexe d’Œdipe. Pourquoi pas ?
Je me souviens d’une émission télévisée récente sur les merveilles du cerveau où la chaîne complète de l’acte amoureux, de la première perception du partenaire jusqu’à l’expulsion du foetus, était décrit uniquement dans une novlangue de séquences d’activation d’hormones et de neuromédiateurs, comme un énorme ballet d’explosions chimiques emportant toute ombre de libre-arbitre sur son passage irrésistible, et en tout cas finissant par provoquer le fou rire. Le mien en tout cas, car bien des gens gobent ce genre de joke sans aucun humour, et y conforment même l’univers modeste de leurs croyances intellectuelles. Un hebdomadaire nommé tout simplement Cerveau me semble-t-il a la spécialité de ce genre de traduction de toute espèce de conduite en novlangue neuroscientifique. Cela peut faire penser aux discours des médecins dans certaines pièces de Molière, notamment Le malade imaginaire, voire aussi Le médecin malgré lui, L’amour médecin.
Il arrive que le sérieux de la science s’inverse cul par-dessus tête en parodie comique délirante, ainsi la machine amoureuse ci-dessus tournée en dérision par la « chanson du décervelage » dans Ubu cocu d’Alfred Jarry : « Voyez, voyez la machin’ tourner/Voyez, voyez la cervell’ sauter/Voyez, voyez les rentiers trembler/Hurrah ! Cornes-au-cul, vive le Père Ubu/Bientôt ma femme et moi somm’s tout blancs d’ cervelle/ Nos marmots en boulottent, et tous nous trépignons. »
Le camp de la psychanalyse aurait de quoi se défendre à condition de mieux soigner son appareil épistémologique dans le combat avec le scientisme en psychologie. J’ai fait la proposition d’utiliser l’argumentaire de base mis en œuvre par Kant dans la Dialectique transcendantale de sa Critique de la raison pure en en dégageant trois types d’argumentation sophistique appelés par moi KI, K2, K3. J’en propose l’application rapide ici à propos de la catégorie de l’autisme infantile, très discutée aujourd’hui entre deux approches antagonistes, celles respectivement propres aux neurosciences et à la psychanalyse
Le premier mécanisme de procédure vicieuse concerne la question constante en psychologie de la catégorisation problématique, quand ce n’est pas arbitraire. Cet argument, appelé K1, dénonce la « chosification », consistant à substantifier les processus en entités abstraites dont la référence au réel échappe, par exemple avec les facteurs de personnalité de Cattell, etc. Ce mécanisme, qui touche donc à l’excès fréquent du processus de catégorisation, procède par identification introjective du réel en pur possible, en chose mentale vide. Or ce problème de la catégorisation arbitraire concerne la définition très variable de l’autisme, une entité très élastique en extension et en compréhension selon les auteurs, que la psychopathologie psychanalytique a fini par acclimater dans son champ, encore que bien des analystes soient loin d’avoir tranché en leur for intime le problème de l’isolement de l’autisme au sein des psychoses infantiles (Bergeret 1982), de ses variétés (Kanner, Tustin, Meltzer), de sa différenciation même à l’égard de la psychose en général (Lacan).
Le second mécanisme, dit K2, engendre des modélisations divergentes jusqu’à la contradiction et dont la synthèse n’est a priori jamais garantie (des exemples connus concernent les modèles cognitivistes de la mémoire et de la compréhension du langage). En ce qui concerne l’autisme, il s’agit de l’imputation étiologique, celle-ci pouvant incliner vers une origine soit biogénétique, ou au contraire purement psychogénétique, sans exclusive du reste et peut-être avec une composition possible et variable selon les cas, problème qui représente, à côté de la précédente, encore une autre des bouteilles à encre de la psychopathologie contemporaine.
Le troisième mécanisme, dit K3, présuppose le résultat dans l’hypothèse et projette les prémisses dans la conclusion, ainsi dans les multiples cas dénoncés d’ « attente de l’expérimen-tateur », ce que l’on appelle aussi de façon plus large « prophétie auto-réalisatrice ». À l’inverse du premier, il procède par identification projective du possible en réel. Dans le cas de l’autisme, la chose est patente dans le fait, comme me le signale un correspond qui me pose à ce sujet la question relative au critère de distinction entre le possible et le réel, que le diagnostic d’autisme est porté aujourd’hui de plus en plus fréquemment dans la consultation médico-psychologique infantile. Y a-t-il réellement plus d’enfants autistes, ou au contraire en voit-on davantage au niveau de conglomérats pathologiques que l’on qualifiait jadis sous d’autres catégories. Cela, nul n’en sait absolument rien.
Enfin, le problème n’est pas seulement que la psychanalyse soit attaquée sur le plan du discours universitaire spécialisé, c’est que l’intervention clinique, tout en restant populaire, est tout de même de plus en plus attaquée par les autorités médiatiques.
J’en prends pour exemple la toute récente sortie de Jacques Julliard contre le « jobardise des psychologues » (Nouvel Observateur n° 2353 du 10-16/12/2009) qu’il rendrait responsable, entre autres facteurs, de la désagrégation complète du comportement social d’une fraction croissante de la jeunesse dans l’institution scolaire du second degré. Je prends prétexte de mon actuel propos pour redire que la constellation « psy » organise quelque 100 000 personnes en France, dont environ 15 000 psychiatres, 50 000 psychologues professionnels, sur lesquels environ 40 000 psychologues cliniciens et psychanalystes, plus quelque 50 000 étudiants. La « jobardise » d’une population de professionnels égalant à peu près celle de villes comme Rouen, Nancy, Roubaix, Avignon, nous ne pouvons pas laisser passer cela de la part d’un personnage public d’une telle notoriété. Même s’il postule en son for intérieur notre inutilité sociale, nous sommes tous là, au milieu de la scène, et pas forcément tous des crétins.
Or, la jobardise des psychologues pourrait bien avoir comme pendants non moins notoires la désinvolture de certains historiens comme la suffisance de certains philosophes, qui officient par la plume et par la voix dans le rôle moral avantageux, au surplus muni comme il se doit de confortables émoluments, de directeurs de conscience de l’opinion publique. De fait, Jacques Julliard comme Luc Ferry ne sembleraient manifestement pas affectionner beaucoup la psychologie et les psychologues, ce qui est leur droit, mais ce qui nous donne à nous aussi le droit de réagir vu l’audience et la position publiques de tels personnages.
Pour avoir écrit un jour dans son éditorial du Nouvel Observateur que la psychanalyse est davantage un problème qu’une solution, J. Julliard a produit un mot sinon tout à fait à la Voltaire, plutôt à la Sacha Guitry, ce qui n’était pas bien grave en soi, mais ne faisait pas fait preuve non plus d’une formidable pertinence intellectuelle à l’égard de l’un des champs de recherche et d’application reconnu par beaucoup comme très important dans la culture franco-européenne. De pareilles œillères sont étonnantes chez un journaliste par ailleurs de grand talent, positionné à gauche, et de formation historienne. Mais on sait parfaitement que des représen-tants de la droite peuvent montrer bien plus d’ouverture à la psychanalyse, et de défiance à l’égard de la nouvelle tendance chimiomaniaque, que plus d’un représentant de la gauche. Dans le contexte actuel d’un « horrible mélange », comme dit l’Athalie de Racine, de tous les repères et points cardinaux, et qui est aussi l’un des très graves symptômes de la maladie auto-immune de la nation française, plus rien n’est étonnant. Un homme comme Kouchner avait montré naguère dans son rôle officiel de ministre de la santé, si je ne m’abuse, la même imperméabilité totale à l’égard du dialogue avec les professionnels de la psychologie, une discipline dont il aurait plutôt paru souhaiter la disparition pure et simple. C’est le souvenir qui a été gardé de lui.
On n’a pas non plus une très haute opinion de ce peut être l’ouverture humaniste d’un philosophe médiatiquement reconnu, tel que Luc Ferry, à l’avoir vu se gausser à l’occasion, dans son émission du Vendredi après-midi, au moins voici un certain temps à mon souvenir, les cellules d’intervention psychologique dans certaines crises collectives et sociales. Libre à lui. Mais ce genre de dérapage, de la part de quelqu’un de si connu et vu, est du même niveau tout aussi inquiétant que celui tout récent de sa part encore consistant à « s’esclaffer aigrement » dans une émission publique le personnage et l’œuvre de Claude Lévi-Strauss, « haine de l’Occident, relativisme complet, un véritable désastre, condamnation immédiate » (« Lévi-Strauss ce zéro », Nouvel Observateur n° 2352 du 3-9/12/2009, p. 115). Les thermomètres à évaluation - dont on nous rebat les oreilles - sont bel et bien cassés. C’est le lièvre se posant comme plus important que l’éléphant. Mais pourquoi pas ? Tout est permis aux puissants.
Or ces gens donnent en l’occurrence le spectacle affligeant, dans l’effondrement croissant de la culture française, d’un égotisme idéologique énigmatique, à afficher un parfait mépris de tous les autres métiers intellectuels qu’ils jugent ne pas atteindre à l’excellence de leur exquise idiosyncrasie culturelle. De telles manifestations de dureté sectaire, de rigidité intolérante, d’une couleur primaire et même quasi-primitive (les psys bof !), posent, bien au-delà des questions de personnes, la question de savoir comment et pourquoi une tradition culturelle de type classique et de niveau supérieur - s’agissant d’agrégés d’histoire et de philosophie - n’est jamais parvenue tout à fait à intégrer l’ensemble des axes reconnus comme incontestables et cardinaux de la culture contemporaine. Il y a longtemps que la machine ne tourne plus rond, sauf peut-être la machin’ à décerveler de Jarry. Évidemment on choquerait beaucoup de telles excellences si on leur affirmait par exemple que le catholicisme postconciliaire en France ne présente pas de fonction ni de densité sociales plus convaincantes que celle restreinte et peu valorisante qu’ils attribuent à la psychologie en général, bof, sauf à consolider la majorité conservatrice de ce « pays moisi », selon le mot de Sollers, pays beauf, en lui donnant la plupart des voix électorales de la fraction catholique. Cela, ils ne l’aimeraient probablement pas du tout. Alors ne fais donc pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît ! Ce serait par ailleurs plus charitable.
Cependant, c’est moins Ferry que Julliard qui m’intéresse ici. Malgré la pertinence de beaucoup de ses propos, je trouve choquant son tropisme à peu près constant, quand il discute des questions de l’enseignement, à mettre tout le monde dans le même sac, et à renvoyer dos à dos jeunes et vieux, étudiants en enseignants, usagers et politiques, dans le même péché originel, ce qui est bien commode mais faux. On aime bien le misanthrope Alceste, mais à la longue, il court le risque de dérailler. Non, les responsables sont les gens de l’ancienne génération, et les jeunes ont raison de nous maudire pour le destin lamentable que nos erreurs leur ont forgé. Ce sont bien les politiques aussi que nous avons élus, constamment de droite ou quasiment, qui ont médité de longue date, comme le pense à bon droit un Jourde, de décerveler la jeunesse, avec la machine de Jarry, et voilà que c’est fait, et pour longtemps, mais avec l’effet secondaire regrettable d’en avoir transformé bon nombre en chiens sauvages.
Les historiens ? Leur génération médiocre n’aura même pas été capable depuis soixante ans de fabriquer pour ces jeunes perdus dans un pays au passé aussi obscur que l’avenir en est fermé, une série de Manuels d’histoire de la qualité de l’ancien Malet-Isaac, qui soit à même de leur fournir un récit objectif et aussi complet que possible de la Deuxième Guerre mondiale, des Guerres d’Indochine et des horreurs de la pacification en Algérie, de la soi-disant décolonisation à la Foccart, de l’OAS, du SAC et de ses barbouzes, de l’enlèvement de Ben Barka, de la crise de 1968, de la Cinquième République au moins jusqu’aux années 1980, poussons jusqu’à la réunification de l’Allemagne, vous savez, la chute du mur de Berlin (1989).
Par ailleurs, tout se tient, l’université est la clef sommitale de tout le reste de la voûte institutionnelle. La scélérate réforme Savary-Mitterand-Le Pors de 1984, dont la droite antécédente n’aurait jamais osé rêver, en bloquant les carrières dans un système ultra-restrictif de promotion au choix a démotivé et démoralisé complètement les enseignants. À ce sujet, on aimerait bien savoir quel rôle exact un certain environnement syndical, notamment celui du Sgen - le Snes n’étant pas non plus un saint - d’où serait venus dit-on la plupart des conseillers du ministre Savary, pourrait avoir joué dans l’invention de cet infâme plan de restriction à long terme, durable et définitif, de ce choc financier, de ce statut ascétique et comme cénobitique imposé aux carrières universitaires. Tous moines à Cluny en bure, à la discipline et à la portion congrue… 75 % de moines de 2ème classe à vie… serait-ce la recette d’une introuvable démocratie chrétienne ? On voudrait tout savoir. Mais on ne nous lâchera jamais rien. Et que dire de l’abandon à un moment donné par Mitterand du strict principe de la laïcité, après les manifestations houleuses de l’année 1984, et des effets ravageurs de cette politique sur la ségrégation scolaire et sociale, avec une école pour les plus riches et une autre pour les plus pauvres ? Le chrétien Péguy avait eu au moins à cœur de défendre l’école laïque.
Cela, ce n’est tout de même pas la jobardise des psychologues, non ? Mais là-dessus ce sera pour longtemps motus et bouche cousue, comme sur bien d’autres choses. La France est un pays où la plupart des fonctionnements sont à deux vitesses, deux niveaux clivés de perfor-mance, de rétribution et d’accessibilité, l’enseignement, la justice, la fiscalité, mais aussi, la mémoire nationale, le soi-disant devoir de mémoire. Les uns savent tout ce qu’ils ont à savoir, les autres sont tenus pour des benêts.
Émile Jalley
Un moine de 2ème classe retraité avec 3 000 € comme beaucoup des camarades de sa promotion ENS 1955.