Le remboursement des consultations chez le psy ? Oui, mais pas dans ces conditions - BLOG
La gratuité généralisée des séances chez le psychologue va à l’encontre du principe du soin. Par Joseph Agostini Psychologue clinicien et psychanalyste 29/09/2021 10:56 CEST | Actualisé septembre 29, 2021
SANTÉ MENTALE - Ainsi donc, les consultations de psychologues seront remboursées sur prescription médicale à partir de 2022 dans le cadre d’un forfait de consultations qui pourra être renouvelé si la prescription le propose.
En tant que praticien, j’estime que le remboursement partiel des séances par l’assurance maladie est tout à fait souhaitable en cette période de soubresauts civilisationnels, entre pandémie, catastrophes climatiques et atmosphère sécuritaire.
D’ailleurs, de nombreuses mutuelles fonctionnent déjà dans ce sens, et nombre de patients utilisent ces procédés pour faire en sorte que leur thérapie soit moins coûteuse.
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La gratuité généralisée des séances chez le psychologue va à l’encontre du principe du soin
En revanche, les mesures annoncées lors des Assises de la santé mentale ne s’arrêtent pas là et mettent en péril le processus d’une thérapie digne de ce nom. La gratuité généralisée des séances chez le psychologue va à l’encontre du principe du soin.
Le coût de la psychothérapie fait partie de l’engagement du patient, il en est même la pierre angulaire tout au long de la démarche ! Chaque praticien ayant une éthique se doit d’adapter ses tarifs en fonction des revenus de ses patients. Il m’arrive par exemple de ne prendre que 10 euros à un étudiant désireux de faire une psychanalyse, de me faire payer en tarte aux pommes par une patiente au RSA, alors que je demande 60 euros à un cadre supérieur dans l’industrie, soucieux d’entamer une thérapie après son divorce. Cette marge de manœuvre du psychologue ne peut pas être étalonnée par l’Assurance Maladie !
Elle incarne le soin à visage humain que chaque praticien doit défendre bec et ongles, en considérant lui-même la demande de son patient, sans injonction de quelque organisme que ce soit.
Je considère comme des escrocs les psychologues et psychanalystes qui n’ont pas cette éthique chevillée à leur pratique et ne font aucun distinguo entre l’étudiant et le cadre supérieur. Combien de praticiens arrogants, qui considèrent qu’une consultation avec eux vaut une fortune, peu importe la situation financière de celui ou celle qu’ils ont en face ! Ils ont sans doute incité à la mise en place de telles mesures, dans une immodération parfois teintée de toute-puissance.
À l’inverse, alors qu’Emmanuel Macron mettait hier en avant la possibilité pour les jeunes psychologues de profiter de ce système de remboursement, je m’interroge sur les compétences de certains cliniciens. Peut-on recevoir des patients en libéral, à vingt-trois ans, fort d’une mince expérience de stage, sans avoir fait de travail sur soi, ou alors l’espace de quelques mois ? Autant de questions qui fâchent et qui vont à contre-courant de l’angélisme du président de la République.
La suprématie du discours médical
Mais une autre question, encore plus épineuse, est au cœur de ces forfaits de consultation : la suprématie du discours médical et la possibilité du médecin de « prescrire » des séances chez le psychologue. “Nous ne sommes pas des auxiliaires médicaux ni paramédicaux”, souligne Maximilien Bachelart, vice-président de l’association Propsy, née il y a quelques semaines, juste avant le démarrage des Assises de la santé mentale.
Sous couvert de quelle légitimité le généraliste peut-il envoyer son patient “se faire soigner” par un spécialiste ? Les généralistes n’ont aucune formation en psychologie, de la même manière que les psychologues n’ont aucune expertise en médecine généraliste !
« Il m’arrive par exemple de ne prendre que 10 euros à un étudiant désireux de faire une psychanalyse, de me faire payer en tarte aux pommes par une patiente au RSA, alors que je demande 60 euros à un cadre supérieur dans l’industrie, soucieux d’entamer une thérapie après son divorce. »
Or, la prescription ruine l’égalité entre ces deux corps de métier et assujettit le psy au bon vouloir du médecin, avec les risques de méconnaissance, d’erreur de diagnostic que cela comporte.
En effet, il est facile de passer à côté d’une dépression, d’une addiction, surtout quand le médecin, comme c’est souvent le cas dans les villages, est “l’ami de la famille”.
Un remboursement oui, mais autrement
Les pistes sont brouillées et le fantasme de la gratuité annule l’importance de l’engagement subjectif, qui dépasse les pathologies psychiatriques, l’épinglage aux nosographies médicales, le regard parfois stigmatisant d’une société pseudo-bienveillante, surtout attentive à coter le mal-être, à en faire des données statistiques.
Ainsi, le remboursement partiel des séances chez le psychologue devrait se faire autrement, en laissant les praticiens libres de leurs honoraires et en proposant un protocole de soin soucieux de préserver l’anonymat du patient, en dehors de toute injonction prescriptive. Il en va d’un choix profond de société et d’une éthique de la parole.
En ces temps d’euphorie perpétuelle et de thérapie ”à deux balles” teintée de promesse de “guérison”, je laisserai le dernier mot au poète René Char : “Quand un homme est broyé et qu’il se tait, c’est un individu normal. S’il proteste et réclame son droit, c’est un révolutionnaire ! La beauté naît du dialogue, de la rupture du silence et du regain de ce silence”.