Vendredi 15 janvier 2010 - LILLE - Maison Folie Wazemmes

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Appel des 39 – La Nuit Sécuritaire, Collectif Refus de la Politique de la Peur
Vendredi 15 janvier 2010 - LILLE - Maison Folie Wazemmes
Soins psychiques et indépendance professionnelle
Journée de défense de la psychiatrie de service public
LES TEXTES
L’embourbement dans l’idéologie néolibérale, dans la nouvelle gouvernance du système de santé (plan
hôpital 2007 et loi Hôpital, Patient, Santé, Territoire), dans la politique sécuritaire toujours en
développement (quels qu’en soient les résultats) trouble, décourage, désespère nombre de soignants.
D’autres y trouvent leur compte. L’opposition et la résistance que nous agissons à des titres divers
rencontrent désormais de la répression, du harcèlement, une volonté d’écrasement des
professionnalités. Deux affaires récentes en témoignent :
Le Dr Pierre Paresys, ancien président de l’Union Syndicale de la Psychiatrie, psychiatre chef de
service depuis 15 ans, n’est pas renouvelé dans ses fonctions pour avoir critiqué les choix de l’Agence
Régionale de l’Hospitalisation du Nord, pour son combat contre la loi dite Bachelot, pour sa lutte pour
poursuivre la politique de secteur.
La campagne diffamatoire menée par le lobbying d’une association de parents d’enfants autistes,
Léa pour Samy, contre le Professeur Pierre Delion, la psychanalyse et la psychiatrie. Sa réponse, « 
Proposition pour une défense des soins psychiques. Lettre ouverte aux parents d’enfants, d’adolescents
et d’adultes autistes, à leurs professionnels éducateurs, pédagogues et soignants », inspire aussi notre
initiative régionale.
Le soin psychique est fondamentalement référé au corps, à l’environnement et au lien social,
permettant une approche globale de la personne et du sujet. Il ne saurait donc être réduit à une
connaissance biologique et à une prédiction génétique, à une thérapie comportementale, à une
éducation normative, voire à un dressage ou à une réinsertion de maintenance.
Le soin psychique est par définition l’objet de conflictualités à mettre en mots, de pratiques fondées sur
la réciprocité éthique entre sujets. Il est une pratique de l’entre deux qui ne peut se réduire à des
impératifs gestionnaires et à des évaluations de conformité aux normes d’une « psychiatrie industrielle
 ». Cette dernière est une hypothèque sérieuse. Cette situation appelle, non seulement à réagir, mais
aussi à sensibiliser l’opinion, tout particulièrement les associations de patients et de familles, au soin
psychique répondant aux besoins dans le respect de la dignité des personnes. Nous devons inviter
également à ces débats les organisations de défense des droits de l’homme : La psychiatrie se doit d’être
démocratique, répondant au droit à la santé et à ses missions de service public et non agent de l’ordre
policier ou du contrôle social.
Claude LOUZOUN
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sommaire
Claude Louzoun
Argument p. 1
Interventions
Olivier Sergent, directeur de la Maison Folie Wazemmes
Vladimir Nieddu, responsable régional Sud Santé sociaux
Le pourquoi de la journée de défense de la psychiatrie publique,
que nous avons intitulée : « soins psychiques et indépendance professionnelle » p. 4
Pierre Paresys, psychiatre « ex » chef de service,
Que s’est-il passé à l’EPSM Flandres en 2009 p. 6
Michael Guyader, psychiatre chef de service, Essonnes
Cheminer avec le patient au long cours (texte non communiqué)
Anne-Marie Leyreloup, SERPSY, Paris,
Jean Vignes, Sud santé sociaux, Toulouse
Les fondamentaux de la pratique soignante en secteur psychiatrique P. 11
Jean-Pierre Martin, psychiatre, Paris,
Accueil et crise en psychiatrie de secteur p. 14
Patrick Chaltiel, psychiatre chef de service, Bondy (texte non communiqué)
Jean Furtos, psychiatre chef de service, directeur de l’ONSMP, Lyon,
La psychiatrie face à la précarité et à la souffrance sociale (texte non communiqué)
Paul Brétecher, psychiatre Corbeil-Essonnes
Psychiatrie de secteur et dignité du patient p. 16
Bernard Durand, psychiatre, président de la Fédération Croix-Marine
Patient, usager, handicapé psychique : catégories ou allégorie. P. 20
Gilles Devers, avocat, Lyon
Droits du patient et indépendance professionnelle,
la jurisprudence européenne. (texte non communiqué)
Claude Louzoun, psychiatre, Hauts de Seine
Droits fondamentaux de la personne et éthique professionnelle soignante :
Quelques considérations à propos de l’obligation de soin. P. 25
Christian Laval, sociologue, directeur adjoint de l’ONSMP, Lyon
Regards croisés sur les professionnalités en psychiatrie et en santé mentale. P. 29
Pierre Delion, professeur de psychiatrie, Lille
Enjeux cliniques et professionnels du travail en psychiatrie de service public. P. 32
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SOIR : Interventions artistiques
Association « arimage » (promouvoir des activités artistiques et culturelles pour
les usagers des secteurs de psychiatrie de l’Essonne)
CATTP « La Villa » -10, rue du Bas Coudray – 91100 Corbeil-Essonnes
Tél : 01 60 90 77 76 cattp.lavilla@ch-sud-francilien.fr
Lectures de textes
Compagnie La vache bleue :
Typologie de la Manifestation : Entre-sort comique et militant
De et avec : Frédéric Legoy et Jean-Christophe Viseux / Photos : Frédéric Legoy
Présenté par un conférencier décalé, et en proie à sa volonté obsessionnelle d’ordonner et de construire
une typologie, "Typologie de la manifestation ", au delà de son caractère comique et divertissant, est
une étude attentive et bienveillante de la manifestation, de ses codes et de ses rites (drapeaux, banderoles,
couleurs, mouvements…). Et comme dans chaque tentative de typologie, le sujet tend à s’échapper et à
sortir du cadre dans lequel on entend le fixer.. .
Le détournement de sens s’inscrit comme l’un des axes de travail de la compagnie, déjà exploré dans
deux autres spectacles de la compagnie, "Parcours conté ", spectacle de rue déambulatoire et "4L, le petit musée
mobile de Gilbert".
Les 99 images projetées sont puisées dans une collection de plusieurs centaines de clichés réalisés depuis
10 ans par le projectionniste et photographe, Frédéric Legoy, mais aussi dans une série de clichés plus
anciens… Diffusées en parallèle, par les deux projecteurs, les images se répondent et s’articulent entre elles
révélant des sens nouveaux.
Nos remerciements vont à Olivier SERGENT, directeur de la Maison Folie de Wazemmes, ainsi
qu’à Isabelle PENARD et à toute l’équipe de techniciens, pour leur accueil et leur soutien.
4
Vladimir Nieddu
Responsable régional SUD Santé Sociaux
Le pourquoi de la journée de défense de la psychiatrie publique,
que nous avons intitulée : « soins psychiques et indépendance professionnelle »
Deux faits ont inspiré notre journée :
La répression subie par Pierre Paresys, ancien président de l’Union syndicale de la Psychiatrie qui n’a pas
été renouvelé dans ses fonctions de médecin chef pour avoir critiqué les choix de l’ ARH 59 62, pour son
combat contre la loi Bachelot, pour sa lutte pour poursuivre la politique de secteur,
La campagne diffamatoire, de lobbying d’une association de patients autistes, Léa pour Samy contre le
professeur Pierre Delion, la psychanalyse et la psychiatrie.
Cette journée proposée par l’Union Syndicale de la Psychiatrie, Sud santé sociaux, l’appel des 39- la nuit
sécuritaire, le collectif « Non à la politique » de la peur ne saurait se réduire à ces composantes. Nous la
souhaitons la plus unitaire possible, nous souhaitons l’expression de la pluralité des points de vue car nous
refusons les simplifications, les réponses toutes faites, bref l’expression simpliste d’un monde complexe.
La psychiatrie est malade, elle est aux abois :
Elle est coincée entre la gestion comptable du système de santé et la perspective de sa transformation en
gardienne de l’ordre social, de l’ordre sécuritaire.
Elle est à l’instar de tout le champ sanitaire et social le sujet de profondes contre réformes, de
privatisation, d’un « new management » pétri de novlangue.
Elle est engoncée dans les protocoles, les évaluations de qualité, les normes ISO, et toute une procédure
comptable et gestionnaire qui de pôle en conseil de surveillance, de tarification à l’activité en EPRD est
pétrie de contraintes à l’économie et rationnement au détriment de la dimension thérapeutique
relationnelle.
La « psychiatrie industrielle » veut tourner la page du secteur et de l’irrigation de la prise en charge
dans la cité au profit de vastes territoires, elle veut tourner la page des batailles désaliénistes issues des
luttes de la Résistance et du renouveau de la fin des années 60 particulièrement en Italie.
La psychiatrie industrielle place au coeur de son projet le traitement chimique, la soumission aux
trusts pharmaceutiques et le regroupement des pathologies, le placement de 72 heures à « l’égard des
personnes dont les troubles mentaux compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l’ordre public »
Le pouvoir obsédé par une refondation idéologique de la société française et hanté par une
réponse sécuritaire aggravée à chaque période électorale, multiplie les injonctions à l’enfermement,
produit sans cesse des textes sécuritaires.
Les idéologues, assureurs privés, trusts pharmaceutiques qui inspirent le gouvernement expliquent
que seul le marché libre où chacun achète selon ses moyens permet d’assurer l’adéquation entre l’offre et
la demande solvable, et seule la concurrence permet d’obtenir la qualité au moindre coût.
Nous refusons quand à nous toute perspective de marchandisation du soin et de l’action sociale,
nous rejetons toute perspective de privatisation. Nous refusons de nous en remettre à la rationalité du
marché et aux bienfaits de la concurrence pour défendre ce bien commun qu’est la santé.
Nous refusons le cadenassage de la souffrance psychique et de la souffrance sociale par la
surveillance généralisée, le fichage informatique ou génétique, l’enfermement et la répression de toutes les
personnes considérées comme déviantes.
Nous croyons que la construction d’un vivre ensemble où chacun puisse avoir a la chance de
s’épanouir, où chacun a sa chance de vivre en sujet de son « propre bien-être physique, psychique et
social », est à l’antipode du projet des nouveaux chantres du libéralisme qui voudraient réduire la
condition humaine à celle d’objet de profit, d’exploitation ou de relégation.
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La construction de ce Bien-être physique, psychique et social, qui demeure un des dix points de la
définition de la santé actée il y a 32 ans à Alma Ata, est le sujet du débat d’aujourd’hui. Il n’y a pas de
séparation possible entre bien portants et malades dans ce projet universel.
4 pistes pourraient être explorées aujourd’hui :
 Le prolongement de la réflexion sur nos pratiques professionnelles, et leur métamorphose
sous l’amas des « réformes » déjà réalisée et de celles qui sont en cours dans le champ de la
psychiatrie, de la santé et de l’action sociale..
 L’échange transversal sur des luttes en cours dans le champ de la santé et particulièrement de
la psychiatrie, le champ des libertés publiques.
 La contribution à la résistance à l’air du temps : la dictature comptable de restriction des
dépenses de santé, et la contre révolution idéologique qui voudrait que tous les fous, les malades
soient un danger potentiel pour l’ordre social.
 Notre contribution à la convergence de toutes initiatives de toutes celles et ceux qui
n’entendent pas que l’avenir de la santé soit pavé de marchandisation, de profit, de ségrégation,
de sécuritaire, de toutes celles et tous ceux qui comptent actualiser, qui comptent engager le
combat en défense de la santé publique et d’une psychiatrie désaliéniste.
6
Pierre PARESYS
Psychiatre « ex » chef de service, Lille
Que s’est-il passé à l’EPSM des Flandres en 2009 ?
Nous avons défendu des pratiques, la politique de secteur, l’accès aux soins pour tous, des moyens pour
les mettre en oeuvre et ne pas sombrer dans le sécuritaire, etc. Cela, nous l’avions déjà fait, comme
d’autres, et nous le ferons encore, comme d’autres je l’espère.
Le fait nouveau n’est donc pas là, mais dans la violence de la contre attaque, violence encore artisanale de
la nouvelle gouvernance puisqu’il s’agissait de couper une tête, violence qui précède celle industrielle de la
Loi HPST puisque celle-ci a coupé d’un seul coup toutes les têtes en supprimant tous les services-secteurs
et par la même occasion leurs chefs. Ceux qui pensaient pouvoir se protéger en déplaçant quelques
virgules de la loi en sont pour leurs frais. La politique de la peur à l’échelle industrielle est à l’oeuvre.
La mobilisation de l’ensemble des personnels de l’EPSM contre un EPRD (budget) insuffisant, rejeté une
première fois par le Conseil d’administration, et contre le déni de démocratie que constituait le nouveau
vote sur les mêmes bases, a trouvé sa réponse : sans démocratie, il n’y a plus de déni de démocratie.
Le directeur avait parfaitement anticipé la loi (pour ce qui concerne la démocratie), et donné une parfaite
leçon de management participatif, technique qui permet une authentique sensation de codécision. Pour le
directeur le plus grave danger étant de se tirer une balle dans le pied, il s’agissait de favoriser le suicide
assisté du conseil d’administration pour éviter toute souffrance liée au sentiment d’impuissance.
Le conseil d’administration a voté l’ EPRD, et les élus étiquetés à gauche nous ont dit que certes ils étaient
de gauche, mais qu’ils étaient des gens responsables.
Les personnels, médicaux ou non, des services publics ne sont pas des gens responsables. Ils dépensent
trop et mal, ils coûtent trop cher ; il faut donc les encadrer et encadrer leurs pratiques. Le PMSI en était la
première pierre. Même si la violence des derniers gouvernements, et plus particulièrement du ministère
actuel de la santé, à l’égard des services publics est sans commune mesure avec les gouvernements
précédents, ce sont les mêmes arguments qu’ils utilisent pour servir leur propagande auprès de la
population, sans oublier la notion de pouvoir médical auquel les associations de patients sont très
sensibles. Pour la psychiatrie, le sécuritaire, au nom d’un possible risque 0 reste le meilleur argument
avancé pour soumettre les psychiatres et instrumentaliser la psychiatrie.
La nouvelle gouvernance, trop artisanale, n’aurait donc pas atteint ses objectifs. La suppression de tout lieu
de débat, du pouvoir des élus, la soumission statutaire des médecins à un seul patron-directeur réduit luimême
à la fonction de chef comptable soumis à l’ARS et à Bercy était donc indispensable : La T2a , la
convergence tarifaire, la Vap- rimpsy pour la psychiatrie sont à la fois les outils de cette dérive comptable
et un excellent moyen de formatage des pratiques. C’est là me semble-t-il le moyen le plus redoutable et
incidieux d’atteinte à l’indépendance professionnelle de tous les acteurs.
La "maîtrise des coûts " et la sécurité sont les principaux piliers de la propagande destinée à la population
et largement relayée par les médias. C’est cette propagande jusqu’à présent plutôt efficace qu’il nous faut
démonter.
La loi HPST est une machine de guerre contre l’hôpital public et sa vocation d’assurer, sans condition de
ressources, des soins de qualité pour tous les usagers. L’organisation des structures sanitaires et des soins
qui y sont dispensés se trouve assujettie au primat d’un logique comptable, fortement contrôlée
hiérarchiquement par l’administration et sans contre-pouvoir. Parce qu’il écarte délibérément la priorité de
la dimension médicale et des soins, ce mode d’organisation provoquera inéluctablement une détérioration
de l’accessibilité et de la qualité des soins, avec des manques dans la couverture sanitaire et des pertes de
chance pour les usagers. Combien de souffrances et de morts se trouvent ainsi programmées ?
Pour être très schématique, si la "prescription" sera bien signée par un médecin, la fragilisation de son
statut, voir le contrat pour les autres, les menaces (même indirectes) sur sa carrière lui retireront toute
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possibilité de contester un contenu pour une grande partie rédigé par le comptable (directeur), totalement
dépendant du chef comptable (ARS) lui-même dépendant de Bercy. Le même comptable imposera le
choix de patients et de pathologies rentables (jamais directement mais toujours de façon insidieuse par les
variations de dotation ou du coût de l’activité), en psychiatrie la mise en chambre d’isolement sera ainsi
encouragée par un financement plus élevé.
La suppression de toutes les instances démocratiques de débat et de consultation : commission médicale
d’établissement (CME), conseil d’administration (CA), comité technique d’établissement (CTE) , pour les
remplacer par des instances usine à gaz coûteuses et à orientation exclusivement comptable ne permet plus
d’empêcher les dérives. La dégradation du service public et ses conséquences sur l’accès au soin sans
oublier la baisse de la prise en charge par l’assurance maladie qui amène la population à retarder la
demande de soins vont entraîner comme aux états unis un surcoût global financé par les patients et la
population au profits des entreprises de santé et de leurs actionnaires, des assurances et de leurs
actionnaires, des laboratoires pharmaceutiques. Ce sont ces 3 lobbies que l’on retrouve dans la lutte contre
Obama, dans sa lutte pour entreprendre timidement le chemin inverse.
Chaque soignant (médecin ou autre) sera confronté à des conflits éthiques et déontologiques inacceptables
et bien évidemment préjudiciables à leur propre état de Santé. Alcoolisme, dépression, suicide, maladresses
professionnelles avec ses conséquences (car il est difficile d’être à son meilleur niveau dans ces conditions),
démissions culpabilisées (par l’impression de quitter le navire avec les rats et de favoriser ainsi la casse
programmée de l’outil "service public de santé).
Comment est-il possible pour des soignants d’admettre que la poursuite de la destruction du dispositif
aggrave encore l’exclusion alors que près de quatre Français sur dix (39%) ont déjà renoncé à un
soin, ou l’ont retardé, en raison de son coût et 85% estiment que leurs enfants ont plus de risques
qu’eux de connaître un jour la pauvreté, selon un sondage Ipsos pour le Secours populaire français publié
le jeudi 25/09/08.
A cause de l’éloignement géographique, 9% des sondés ont déjà renoncé à une visite chez un
généraliste … Encore un effort et les dysfonctionnements performants (pour coller aux chiffres et aux
exigences productivistes) vont désorganiser un peu plus les hôpitaux publics, les rendant déficients et plus
chers, plus inaccessibles par le défaut de prise en charge des soins et la distance.
La dégradation programmée du service qui vise à convaincre la population de son incurabilité est la
dernière étape avant la fin.
MADAME BACHELOT NE CHERCHE PAS À FAIRE BAISSER LES COÛTS EN DEHORS DE
CELUI DE LA SOLIDARITÉ. LA PROPAGANDE RESTE LA PROPAGANDE. La loi Bachelot est
une usine à gaz à multiples strates ou le contrôle, le fichage et la bureaucratie vont par ailleurs grignoter
encore un peu plus la part consacrée aux soins.
Le bon vieux code de déontologie médicale présente dans l’évolution actuelle un caractère révolutionnaire
qui doit pouvoir nous être utile :
 Article 7 : (qui traite de l’égalité et interdiction de toute discrimination)
le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur
origine, leurs moeurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une
religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard. Il
doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la
personne examinée.
 Article 95 : (qui traite de l’indépendance)
Le fait pour un médecin d’être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à une administration, une
collectivité ou tout autre organisme public obligations concernant le secret professionnel et l’indépendance de ses décisions. En
aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part de
l’entreprise ou de l’organisme qui l’emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l’intérêt de la santé publique et dans
l’intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises. ou des collectivités où il exerce.
 Article 97 : (qui interdit norme de productivité et rendement)
Un médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement
horaire ou toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une
atteinte à la qualité des soins.
Ceux sont d’ailleurs en partie ces arguments qui ont été mis en avant par le Comité Consultatif National
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d’Ethique dans son avis sur la T2A. Mais il est vrai que pour notre président, éthique, déontologie et plus
généralement débat contradictoire aboutissent à des avis « éloignés de la vraie vie » : « il en est parfois très
choqué » (APM 31/2/2008) ! Et c’était pour lui une bonne raison pour changer profondément le
fonctionnement du CCNE. Il est vrai que celui-ci ose émettre des avis sur les orientations actuelles de la
politique de santé qui pourraient réveiller les consciences (chut ! Les français dorment, …). Avis n°101 du
CCNE, à propos de la T2A : « en privilégiant la comptabilisation des actes techniques au détriment de
l’écoute ou d’examens cliniques longs et précis, elle conduit à considérer comme « non rentables »
beaucoup de patients accueillis notamment en médecine générale, en psychiatrie, en gérontologie ou en
pédiatrie ».
Peut-on comme c’est le cas depuis de nombreuses années se contenter d’une application passive de ce
code, où les médecins, au fond de leur service ou de leur cabinet, pourrons continuer à penser qu’ils
traitent tous les patients avec la même conscience professionnelle alors qu’ils auront laissé s’organiser une
sélection et une discrimination de plus en plus grande sur le chemin qui mène à eux. L’indépendance
professionnelle c’est donc aussi se soucier de l’égal accès aux soins pour tous.
Récemment (début décembre) en psychiatrie de liaison à l’hôpital général, on m’a demandé de rencontrer
une patiente ; il s’agissait d’une agricultrice admise pour une Phlébite. Elle présentait par ailleurs un cancer
mammaire évoluant depuis 6 mois et l’équipe sollicitait une aide pour elle-même comme pour la patiente.
Celle-ci apparaissait triste mais il n’en était rien ; elle avait bien compris ce dont il s’agissait. Elle s’exprimait
peu. Suffisamment toutefois pour me raconter la découverte de la mastite en juin, la prise en charge de
son examen par un médecin remplaçant car le sien était en congé, la série d’examens et le diagnostic. Elle
n’aime pas trop les médecins et encore moins se plaindre. Quand elle se rendra compte que la sortie du
parcours de soins a entraîné une faible prise en charge de ses soins, elle s’est contentée de ne plus revoir de
médecin. Je l’ai rencontrée 2 ou 3 fois. À mon retour
des vacances de Noël on m’a annoncé son décès. Le retard dans l’accès aux soins entraîne en général un
surcoût ; ici c’est tout économie, sans oublier la retraite qui devait intervenir dans 10 mois. Pari gagné.
J’avais la haine comme dirait l’autre.
Nous sommes au quotidien aux prises à de plus en plus de difficultés dans l’exercice de notre métier.
Nous avons été confrontés à un raz-de-marée sécuritaire et à des attaques constantes contre le service
public et les principes de solidarité. Les réformes engagées depuis 2002 sont parfaitement cohérentes et
visent toutes à abandonner le principe de solidarité au profit d’une politique de marchandisation de
l’individu et de contrôle social. Surveiller et punir, pas soigner et surtout pas de façon solidaire.
Dans cette logique, la liquidation des services publics devient un impératif : ils représentent un facteur de
cohésion et de paix sociale, un filet de « sécurité sociale » réduisant les inégalités et les écarts. C’est un
mode de redistribution des richesses atténuant la violence du marché. Ils favorisent donc la survie des
inutiles. Le système américain qui fascine lui aussi notre président est beaucoup plus performant :
essentiellement privé, et le plus coûteux au monde : les Etats Unis dépensent 14 % de leur PIB pour leurs
frais de santé, contre 10 % pour la France. Plus d’un tiers (36 %) des familles américaines vivant en
dessous du seuil de pauvreté n’ont aucune couverture médicale. 18 000 personnes meurent chaque année
aux Etats-Unis parce qu’elles n’ont pas de couverture médicale ! Mieux encore, c’est sur décision « 
médicale », mais en réalité financière, que les soins seront effectués, en fonction d’une équation savante
entre la valeur de l’individu (son niveau de couverture sociale, reflet de son niveau de vie) et le coût des
soins pour la collectivité. Depuis 2002, les amis du président ou ses valets, de Mattéi à Bertrand, en
passant par Douste Blazy (précurseur avec son forfait, Kouchner les a rejoints), nous ont donc concocté
des réformes visant à « privatiser » l’organisation du système de santé et surtout le statut des médecins
pour mieux les soumettre comme aux Etats-Unis au diktat gestionnaire.
Ces questions sont évidemment transversales et la défense d’un certain nombre d’enjeux dans une
approche non catégorielle est indispensable pour élargir les alliances.
Ainsi l’inquiétude que nous manifestions en 2005 concernant les services d’intérêts généraux trouvent
leur pleine illustration dans hôpital 2007, la nouvelle gouvernance et les enjeux statutaires qui dans le
service public concernent aussi bien le facteur, l’électricien que le praticien hospitalier.
La question posée par Convergence services publics sur ce point m’apparaît tout à fait pertinente : "la
question du statut des agents, des personnels est inséparables de l’action pour la qualité et la protection des
services publics. La précarité est préjudiciable à la volonté de répondre aux besoins et en premier lieu à
9
ceux des plus démunis. De même, le statut est garant de l’intérêt général, dans une nécessaire
indépendance des agents vis-à-vis de l’autorité politique et des pouvoirs économiques. Ainsi, la
défense du statut se conjugue-t-elle avec la qualité du service public”. J’y ajouterai pour ma part le risque
de corruption déjà à l’oeuvre à l’hôpital par la généralisation des dessous de table. C’est une question
importante source de malentendus dans le meilleur des cas. Pourtant le débat autour du traité
constitutionnel en 2005 aurait pu permettre, s’il n’avait pas été présenté de manière caricaturale dans la
propagande de l’époque, d’infléchir cette évolution. Le projet de traité constitutionnel européen
s’inscrivait avant tout dans une logique économique néolibérale. Le passage du statut au contrat, de la
planification à la concurrence, l’absence de référence au service public remplacé par un service
économique d’intérêt général, dont la préfiguration actuelle nous démontre déjà qu’il ne pourra répondre
aux besoins des populations les plus défavorisées, inscrivent désormais la Santé dans une dimension
commerciale de marché. Confirmant ce que projettaient déjà les directives de l’A.G.C.S. (Accord Général
sur le Commerce des Services), ces mesures avaient pour finalité d’aboutir au démantèlement du service
public et à la disparition du principe de solidarité jusqu’alors porté par l’Assurance maladie.
Le service public de santé en fait les frais mais il n’est pas le premier ni le dernier. La sous-traitance de
mission de service public finit par coûter plus cher, fragilise les travailleurs ( dans leurs statuts et leurs
revenus), pour un moins bon service rendu au plus grand nombre. Dans le système Brésilien les
actionnaires des entreprises de santé préfèrent payer les amendes plutôt que de mettre à disposition des
soins non rentables. Même si l’on a pas une vision angélique de la fonction publique il est clair que
renseigner une personne âgée sur un nouveau dispositif sera moins valorisé que sa manipulation pour la
vente d’un gadget inutile, à France télécom qu’aux ex PTT, sans bien-sûr donner de consignes à ce
niveau ; et si le facteur ne peut plus apporter son pain à la même personne âgée, il s’agit bien là d’une
transformation et d’une dégradation du service rendu.
L’écrasement des professionalités est bien un phénomène général. Dès 2003-2004, le ministre de l’intérieur
s’en est pris aux travailleurs sociaux dans l’indifférence quasi générale y compris dans le monde de la
psychiatrie. Il s’agissait pourtant d’une attaque du secret professionnel, d’un encouragement à la délation et
au contrôle social, et l’ensemble du texte entretenait la confusion entre délinquance, précarité, fragilité,
absentéisme scolaire, santé mentale . La dérive sécuritaire était elle aussi prévisible mais bénéficiait (et
bénéficie toujours) d’une propagande trop rarement dénoncée. Là encore, il me semble regrettable que les
professionnels de la psychiatrie aient pour la plupart insuffisamment investi un mouvement comme le
collectif national unitaire anti-délation qui a le mérite d’avoir une approche globale du problème.
L’instrumentalisation des travailleurs sociaux (territoriaux ; PJJ), de la justice, de l’éducation nationale et
de la psychiatrie à visée de contrôle social reste un problème majeur.
Les prises de position d’un certain nombre de psychiatres et d’appareils syndicaux ne sont pas pour
clarifier les enjeux. Il s’agit trop souvent de défendre une psychiatrie paternaliste où le psychiatre serait par
définition la meilleur chose qui puisse arriver au patient et qui pourrait donc décider seul de ce qui est bon
pour le patient. Cette indépendance là ne serait-elle pas plutôt inquiétante ?
S’il nous faut peut-être remercier Mme Bachelot pour ne pas s’être précipitée de ficeler une révision
sécuritaire de la loi de 90, alors que, en dehors de l’USP, peu de voix s’élevaient pour condamner la garde à
vue psychiatrique de 72 heures et l’obligation de soins généralisée dans la communauté, j’ose espérer
toutefois qu’au delà de l’incurie ministérielle, le mouvement soutenant la judiciarisation de l’internement a
largement participé à cette provisoire mise au placard. La menace reste réelle et risque de prendre la
forme des conclusions de la commission Lopez (Propositions de réforme de la loi du 27 juin 1990 relative aux
droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation, MAI
2005, Rapport présenté par l’Igas, docteurs LOPEZ et YENI, et par Igsj, Mme
Valdes-Boulouque et Mr Castoldi) dont le rapport, comme la loi HPST, est une véritable merveille. Ce
rapport reconnaît bien, dans la mesure de contrainte et les soins forcés une atteinte sévère à la liberté
individuelle (pp. 6 et 13). Elle constate, que le nombre des mesures d’hospitalisation sous contrainte a
presque doublé depuis 1990. Elle admet qu’il s’agit de situations douloureuses et stigmatisantes pour les
personnes. Les rédacteurs regrettent, concernant les sorties à l’essai, que leur durée prolongée contrevient
à l’esprit de la loi et de la mesure (p. 36), qu’elles finissent à l’évidence par être une obligation de soins qui
ne dit pas son nom (p. 36) ou déguisées (p. 40). Mais plutôt que de durcir les contrôles pour imposer une
meilleure application, la commission se propose d’assouplir ces mêmes mesures ! L’exception devenant la
règle il suffit de faire de l’exception la règle, pour que tout rentre dans l’ordre.
Ce n’est pas le gouvernement de Nicolas Sarkozy, mais certains confrères, qui ont commis une série de
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rapports dont les propositions sont liberticides en proposant une participation des équipes de secteur à un
hyper contrôle social dans le cadre d’un « réseau » où la transparence et le « tout savoir sur tous » seraient
de toute évidence la solution orwelienne à toute difficulté sociale, réduisant par ailleurs le psychiatre à un
rôle d’expert coordinateur et de prescripteur de psychotropes et de psychothérapies formatées. Les
contrats dont parle Alain Chabert (psychiatre) dans son texte « psychiatrie : pratique sociale , ou politique ?
 », en y introduisant le suivi et la prise de traitement obligatoires sont de parfaits outils pour effacer la
singularité de l’individu. Toute parole discordante sera annulée, quand chaque malade-déviant potentiel
aura pré- consenti par « contrat : travail, logement, traitement », l’admission, la mise en chambre
d’isolement (banalisée comme « protocole de soin » et encouragée financièrement). Ces confrères
prétendent pourtant défendre le secteur ! Comment s’étonner ensuite des conclusions de la commission
Couty. Même si par définition il ne doit pas exister de modèle ou d’organisation type, au risque du
formatage par ailleurs décrié, il est manifeste qu’un certain nombre de principes devraient être rendu plus
lisibles. Quelle psychiatrie pour quelle société ?
En conclusion. Au delà du travail nécessaire de lisibilité concernant la psychiatrie pour nous mêmes, et à
l’égard de nos interlocuteurs et parfois partenaires du champ social, judiciaire, politique mais aussi de la
population, il m’apparaît tout aussi indispensable pour nous enrichir et nous unir dans les luttes de nous en
distancier pour nous intéresser à l’accès aux soins partout et pour tous, au service public de santé et plus
généralement quel type de service public soutenir et défendre, etc ...
Les collectifs sont à ce titre des lieux de convergence, de réflexion et d’organisation des luttes
indispensables et je pense en particulier : au collectif contre les franchises, à "Non à la politique de la
peur", au collectif national unitaire anti-délation (essentiellement contre la loi de prévention de la
délinquance , sa dimension sécuritaire et toutes les atteintes aux professionnalités qui lui sont liées), au
collectif liberté égalité justice ( qui associe entre autre : le Syndicat de la Magistrature, la Ligue des Droits
de l’Homme, SNEPAP-FSU, Association des juristes démocrates, MJS, Commission Justice des Verts, CGT-PJJ, CGTUGICT,
SNPES-PJJ- FSU, le NPA, l’Union syndicale de la psychiatrie, FSU territoriaux, Le GENEPI, UNEF,
SNESUP) , à Convergence nationale services publics, la coordination des comités
de défense des hôpitaux et maternités de proximité, l’Appel des 39, etc ..
J’en terminerai par la question posée au monde politique : Lesquels parmi vous sont prêts à clarifier leurs
positions et à s’engager à abroger :
 La nouvelle gouvernance , hôpital 2007 et la loi HPST.
 La T2a (ou son équivalent Vap-rimpsy ) en proposant une dissociation de la dotation budgétaire et du
contrôle de l’activité.
 Les franchises et les sanctions dans le parcours de soin
 Les lois Perben, Dati et la perpétuité sur ordonnance.
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Jean VIGNES
@Marie LEYRELOUP
Nelly DERABOURS
Marie RAJABLAT
Infirmiers de secteur
SUD Santé sociaux
Serpsy
Pratiques soignantes en psychiatrie ?
Entre le fait-tout et la cocotte minute !
Si l’on prend le protocole de cuisson d’un oeuf mollet, Le CLIN va nous expliquer qu’après avoir porté à
ébullition de l’eau dans un récipient idoine et un local homologué on doit plonger un oeuf estampillé un
certain temps dans l’eau…
Dans le cadre de la politique de secteur, on commencerait par se demander si on veut bien un oeuf, pour
qui et pourquoi et comment on va l’accommoder, et si l’on opte pour l’oeuf mollet, l’oeuf dur, ou
brouillé…
Encore faudra t’il tenir compte de différents facteurs, l’altitude par exemple : allez donc vous faire cuire un
oeuf au sommet du mont blanc et vous ne serez pas au bout de vos surprises ; et si vous voulez vraiment
faire bouillir de l’eau sans matériel une simple feuille de papier et une flamme y suffisent ! C’est sport mais
faisable, merci les "castors juniors".
Dans cet exemple simplissime on peut voir s’ouvrir tout un univers d’incompréhension entre la réification
administrative de la politique de soin et le quotidien de la vie d’un secteur de psychiatrie tels que nous
l’avons, nous souhaitons ou nous continuons de faire vivre.
Le soin en psychiatrie c’est une histoire de marmite, de woks, de cuiseurs vapeurs, de grillades, de
confitures, de ragoûts, potées ou salades, de cuisine régionale, universelle ou de fond de frigo… autant
dire d’un complexe non miscible dans la réduction en système d’une politique.
Le soin en psychiatrie est une somme des cuisines du monde faites de savoirs partagés, d’expériences
cliniques, humaines, voir même de neurosciences. Et sans pour cela négliger les cuisines locales qui
permettent les élans de créativité…
Dans toute cette cuisine le soignant est un acteur qui a pour caractéristique essentielle de travailler en
synchronie avec le patient, en situation clinique continuée.
De sa cuisine, il est aussi en débat constant avec l’ensemble des invités au dîner, les proches, les amis, les
partenaires, ce qui va permettre une certaine alliance thérapeutique, une sauce singulière et plurielle.
Dans le cadre de sa continuité clinique il va s’approcher au plus prés du vécu du patient, participant à
l’étayage et l’évolution du soin dans son accompagnement mais aussi la transmission de la perception
quotidienne du patient dans l’espace où le soin se pense quel qu’il soit.
Le soignant participe du tissage du soins partout où les liens sociaux classiques n’y peuvent plus ou
s’avèrent aliénants.
Est-il opératoirement quantifiable le « bonjour monsieur, madame ou mademoiselle quotidien », le sourire,
le fait de croiser le regard de l’autre en respectant toute la distance qu’il peut en avoir, le pot au feu de base
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n’est pas protocolisable, il n’est pas simple pour autant, il y a des espaces de vous, des temps de tu, des
moments où il faut être matériellement là et des temps ou n’être plus qu’une fonction symbolique.
Les fondamentaux du secteur sont simples « La psychiatrie de secteur est une hypothèse clinique sur la recherche du
sens, l’homme dans sa globalité, son corps, son fonctionnement psychique, sa relation à l’autre ; l’homme avec son histoire, sa
famille, sa cité ; l’intérêt porté à la recherche de ses potentialités et à celles de son entourage par une même équipe soignante ;
faites de personnes compétentes et disponibles au plus près de l’homme qui souffre ; travaillant sur ses liens et ayant le souci
d’anticipation formalisé par la définition de projets successifs pour la personne, son groupe, la cité. »
Les soins spécifiques en psychiatrie nécessitent une approche et des réponses adaptées au fonctionnement
mental de la personne soignée. Ce n’est pas “faire quelque chose ” pour un patient, c’est aussi lui donner
les moyens de retrouver la capacité à faire, puis la liberté de faire.
Ils reposent sur la qualité de présence et d’accompagnement des soignants pour la personne en souffrance.
Cette qualité de présence est liée
 à la disponibilité : de la civilité à l’écoute, de l’écoute aux sens, des sens aux histoires.
La disponibilité, mettre à disposition sa pensée au service de la situation de soin, Bonjour, sourire,
serviabilité, écoute, ouverture, ressentis, analyse des ressentis en fonction de la situation de soin, mise
en mots, formes de matérialisation des histoires, mise en temps, …
*C’est simple comme un « bonjour »,
Un cheminement vers une plus ou moins grande sensibilité plus ou moins consciente sa propre
implication et de son interaction,
*de ce qu’on se montre l’un et les autres.
Cette qualité de présence est liée aussi :
 à l’apprentissage : des histoires aux théories, des théories à l’histoire, de l’histoire au temps. Mise
en commun, croisement des récits, l’ombre. Formes et lieux, Plaquage des savoirs, regards sur
l’ombre en fonction des éclairages portés, mise en scène du sujet entre ombre et lumière… retour du
vivant dans le savoir pétrifié.
Un cheminement vers l’inconnu entre les canyons du savoir plus ou moins porté par du travail individuel
et collectif, régulé et riche de singularités,
* de ce qu’on apprend l’un aux autres.
Cette qualité de présence est aussi liée à ce que nous appelons le « bricolage ». Ne croyez pas qu’il s’agisse
d’un manque de théorie, manque de savoirs, mais il s’agit de s’adapter à la personne qui est en face de
nous. Aucune histoire clinique n’est identique, aucune réponse ne peut l’être… Il s’agit alors d’une
adaptation des équipes, des personnes à la connaissance des histoires, de l’exploration à la découverte, du
social au sujet… et du bricolage inventé et réinventé, évalué et réévalué au quotidien.
Le soignant en situation de soin bricole le quotidien pour ne pas rester pensée…pure !
Imagination, impertinence, loi et cadre, accompagner un cheminement en jouant avec l’élasticité de
l’environnement pour y faire la place du sujet.
Je suis un autre, mais en plus compliqué…
Pour soigner, le savoir doit également être pluriel et partagé.1
Pluriel il inclut à la fois l’indispensable savoir médical, scientifique et technique mais aussi notre culture sociopolitique,
notre histoire, nos propres expériences humaines, mais encore et toujours le savoir du malade expert de sa maladie.
Partagé car le savoir se nourrit de la confrontation entre les soignants et les soignés, et la confrontation entre les
soignants.
La démarche soignante ne pourra donc pas s’attacher seulement à une pathologie ou un symptôme, elle
tiendra compte nécessairement du patient à ce moment de son histoire. Les soins s’inscrivent dans la
durée tant il est vrai que nous nous occupons de patients ayant des affections longues. Ils tiennent compte
d’un ici et maintenant qui peut être un épisode aigu ou une période de rémission. Mais le soignant
1 PABOIS (AM) Quels savoirs pour soigner ? Dossier n°18, Pratiques les cahiers de la médecine utopique, juillet 2002, p.5.
13
intervenant à un moment donné, doit sans cesse faire des allers et retours entre histoire et présent, entre
hier et maintenant
L’action du soignant en psychiatrie a, de plus, toute sa dimension dans la prévention. Ce n’est pas une
dimension qui est toujours mise en avant mais elle est pourtant fondamentale. Le soin en psychiatrie
s’exerce à l’hôpital, mais aussi dans de nombreuses structures à l’extérieur de l’hôpital, au coeur de la cité et
au domicile du patient. Ce sont les liens entre ces lieux, entre ceux qui y travaillent qui créent une unité
dans le soin mais c’est aussi le lien qui va faire soin.
Le soin n’a de sens qu’inscrit dans une dynamique pluridisciplinaire, c’est à dire en collaboration étroite
avec tous les acteurs du soin. Cette pluriprofessionnalité est d’une grande richesse entre les mains d’une équipe qui sait
mettre en valeur leurs différences sans les hiérarchiser. L’égalité des soignants ne saurait se situer dans l’annulation de ces
différences.2
Autant dire que ces fondamentaux sont terriblement immatériels, infiniment multiformes et en interaction
perpétuelle.
A la lecture du contemporain ces fondamentaux souffrent.
Cherchez une once, un souffle, l’idée même qu’il puisse exister un tel soignant dans le programme du
LMD de soins infirmiers, vous n’en trouverez pas.
Cherchez un espace dans lequel puisse se construire un tel soignant entre HPST, rapports Couty ... j’en
oublie..
Souffrir jusqu’à disparaître de l’horizon, que ce soit à travers les protocoles, ou toutes les formes
instrumentalisation de la pratique dans notre domaine, que ce soit les attaques contre les psychothérapies,
l’assèchement économique de toute pratique hors nomenclature en ce qui concerne notre champ, ou plus
largement de mise à mort de la pensée critique tant par les réformes de l’enseignement, que la rigidification
du pouvoir ...
Discours Sarko-sécuritaire, dénigrement des sciences humaines, stigmatisation de l’autre...
Retour au champ psy... Psy de la norme, de la peur du contrôle social.
Peut-être qu’un des fondamentaux aussi, c’est d’apprendre à écouter le blé pousser ...
"Dans une histoire de gavots, la barque qui allait sur l’eau et sur la terre, il était question d’un homme
qui était là au bord de son champs, couché contre la muraille. Le voyageur qui passait là s’étonnait
et lui dit :
 "De que fases aqui donc ? Fas la siesta acqui per la tèrra, coma acquo prendràs mau !"
Parce que lorsqu’on fait la sieste dans les champs, on la fait sur l’herbe, tandis que lui, il était couché
là, dans un champ fraîchement labouré.
 "O non, prendrai pas mau, i restarai pas ben. Sièi aqui que escotave nàisser mon blat".
Il écoutait pousser le blé, le bruit que ça faisait en germant, il avait bonne oreille. Il voulait savoir si
son blé sortirait.
Contes et fariboles ont bercé mon enfance et continuent de me ravir aujourd’hui. Je ne suis donc pas
effarouchée par les hommes qui écoutent leur blé grandir. Si je me penche un peu, je crois même que je
pourrais aussi l’entendre frémir !
Se pencher. Verbe du premier groupe dont l’étymologie vient du latin pendere, pensus qui signifie "laisser
pendre (les plateaux d’une balance)", d’où "peser" et "évaluer". Pour donner une valeur, une signification à
quelque chose ou à quelqu’un, il faut s’y pencher. Or, s’y pencher suppose s’en rapprocher ... Il était une fois
la Distance. Se pencher, n’est ce pas ce qu’impose leur métier aux artisans de la santé mentale ou, plus
poétique, aux jardiniers de la folie ? Le profane jugera sans doute que nous ne faisons pas grand’chose. Nous
semblons désoeuvrés ou passons pour des farfantaïres ... Et pourtant, si vous écoutez les mille histoires que
nous pourrions vous raconter, peut-être alors qu’un jour, en vous penchant à votre tour, vous entendrez
naître les blés.
2 3 BAILLON (G), Les urgences de la folie, l’accueil en santé mentale, Gaétan Morin Editeur, Collection des pensées et des actes
en santé mentale, novembre 1998, p.157
14
Jean-Pierre Martin
Psychiatre, Paris
LES CENTRES D’ACCUEIL ET DE CRISE,
UNE EXPERIENCE DE SOINS PSYCHIQUES
Le soin psychique est un ensemble de pratiques fondées sur l’altérité, donc une relation avec un tiers. Si le
tiers nommé est sur le plan thérapeutique un travailleur de la psychiatrie, l’autre social et ses institutions
qui constituent le sujet est dans chaque soin à l’oeuvre, que ce soit dans l’apparition du symptôme, l’accès
aux soins et sa continuité. Le soin est un temps social traversé par ses fictions et ses utopies. De ce point
de vue, au-delà d’être des porteurs d’idée acquises : la théorie, nous sommes des faiseurs de pratiques
utopiques dans le projet de dés aliéner.
Les centres d’accueil et de crise sont une expérience de construction d’altérités dans le cadre du secteur
psychiatrique.
20 ans après la création du centre d’accueil et de crise quels sont les arguments qui ont présidé à sa
création et qui restent pertinents dans la société d’aujourd’hui.
1° il repose sur une conception du secteur fondée sur une organisation de la psychiatrie dans la
communauté et son inscription comme politique de santé mentale.
Organiser l’accès aux soins et sa continuité au plus près de la vie sociale décentre le soin de
l’hospitalisation en première intention. Elle fait apparaître le rôle des tiers politiques et sociaux dans cette
intégration du soin dans la cité.
Ce décentrement, qui remet en cause l’histoire d’enfermement carcéral et une réponse purement
médicalisante du symptôme psychique, est d’abord une autre approche de la clinique fondée sur la
subjectivité du sujet au sein de son environnement.
Elle place l’hospitalisation comme une structure de soins parmi d’autres avec un travail précisant son
utilité.
Le secteur met en place cette continuité.
2° le centre d’accueil est ouvert 24h sur 24 et est une alternative au « tout hospitalisation ».
Il accueille le tout venant en souffrance psychologique et les tiers qui participent de la situation.
L’écoute de la subjectivité est l’élément clinique central, dans un rapport de reconnaissance des places
réciproques, avec une recherche de consentement aux soins. La parole du patient potentiel est la base de
toute négociation. L’écoute des tiers familiaux et sociaux dans leur légitimité permet la dédramatisation de
la crise et fait apparaître la dimension multiple de l’approche du symptôme.
Il permet de préciser l’intérêt thérapeutique d’une hospitalisation, donc de la limiter en la pensant. De fait,
il a réduit de la moitié le nombre d’hospitalisations.
Le temps à prendre pour saisir la situation de souffrance et de crise, son approche sans vouloir répondre
en urgence au symptôme, sans précipiter le diagnostic et la prescription d’un traitement autre que l’écoute
et l’échange, avec le support d’un lieu pensé en terme d’approche institutionnelle (nuits, soins corporels,
repas, temps d’un café…) avec une dimension communautaire.
Choix d’une responsabilité soignante élargie avec une première ligne infirmière et des médecins présents
en permanence mobilisés selon ce qui se passe, façon de multiplier les situations de rencontre et de les
penser hors du strict acte médical.
L’articulation avec les autres équipes de soins donne sa logique globale sur le plan soignant.
Nous avons appelé interface ce processus d’accueil vers des soins.
Il s’est avéré rapidement que les patients suivis trouvaient là un repère dans les moments d’angoisse et de
vécus psychiques envahissants, en particulier les psychotiques, pour lesquels le lieu est d’abord protection
face aux sentiments de menace du monde extérieur, avant même tout échange thérapeutique.
Ce lieu s’est avéré indispensable à l’inscription du dispositif de soin dans la communauté, l’intégrant aux
politiques sanitaires locales, donnant sens à la notion de santé mentale.
Fondé sur le travail clinique il ne peut être une solution de nature strictement gestionnaire et comptable.
C’est le danger majeur qui le menace aujourd’hui avec les nouvelles gouvernances de la santé et du social.
15
Lieu d’accueil en urgence il n’est pas un lieu de sécurité pour les patients et les familles et non une réponse
sécuritaire de précaution.
Il garde toute sa valeur sanitaire et sociale dans la société actuelle, mais n’a jamais été reconnu comme une
priorité gouvernementale.
Ses limites sont celles de l’échec de l’écoute ou d’une violence symptomatique qui ne cède pas sur le plan
relationnel.
Il introduit clairement un débat sur le soin psychique dans ses dimensions du prendre soin par l’écoute
réciproque, la place des tiers dans la constitution, la reconnaissance et le traitement du symptôme dans sa
multiplicité.
Si les conditions en moyens de sa création sont aujourd’hui gravement altérées par les politiques de gestion
à l’activité (ses critères cliniques sont déniés au profit de l’efficience médicale symptomatique et du coût) il
demeure une piste du soin psychique qui peut être pensée dans tous les lieux d’accès aux soins en
particulier les CMP et aux urgences de l’hôpital général, et devrait l’être pour l’arrivée à l’hôpital.
Il est donc attaqué par les administrations hospitalières au nom de l’efficience gestionnaire, par les remises
en cause du secteur comme continuité des soins par la loi Bachelot et le rapport Couty.
Nous avons pu bloquer il y a 8 ans sa fermeture par sa reconnaissance dans le schéma régional d’Ile de
France avec l’aide du Dr Éric Piel et d’élus parisiens.
Peu de temps après un autre centre d’accueil, celui de la Roquette à Paris, a pu être sauvé par la
mobilisation d’un collectif de patients et d’élus locaux.
Toute cette résistance fait partie de la situation actuelle et s’est généralisée à la notion même de clinique et
de soins psychothérapiques et institutionnels dans la durée.
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Paul Brétécher
Psychiatre, Corbeil Essonnes
Psychiatrie de secteur et dignité des patients
En introduction à quelques réflexions concernant "la psychiatrie de secteur et la dignité des patients", je
vous propose une courte histoire, qui remonte à une dizaine d’années. Elle se passe à Corbeil- Essonnes.
Un jour, dans les rues avoisinant les centres de soins, on vit apparaître, graphées sur les murs des pavillons
résidentiels et sur les poteaux électriques, une phrase qui avait de quoi retenir mon attention : "Paul
Bretécher est un con". Cette invective lapidaire, livrée au regard des passants n’était pas revendiquée. Mais
pour l’équipe, son auteur ne faisait aucun doute. Car, dans les semaines qui avaient précédé cet incident, le
CMP avait reçu une série de missives anonymes dont le seul texte se résumait, tantôt à la formule déjà
citée "Paul Bretécher est un con", tantôt à celle aussi cinglante "Philippe Girodet est une raclure de bidet"
qui visait nommément un autre praticien. Les feuilles non signées avaient toujours le même format A4, et
les phrases en gros caractères, d’une typographie répétitivement identique en occupaient le centre. A priori
des phrases comme "X est un con" et "Y est une raclure de bidet" sont d’une grande banalité et
témoignent d’une hostilité plutôt basique à l’égard de leurs destinataires. On aurait donc pu interpréter ces
lettres, seulement remarquables par leur abondance, comme une manifestation de malveillance primaire
d’un patient mécontent pour d’obscures raisons, des psychiatres du service. Le transfert négatif, ça existe,
on peut le prendre comme tel et s’interroger sur ce qui l’a déclenché. Mais cette fois là, dans l’équipe,
plusieurs avaient été interloqués pour une raison plus précise. Les lettres anonymes, aux caractéristiques
répétitives, dans leur apparente trivialité, du fait même de la forme du message, avaient valeur de
revendication. Revendication de l’appartenance de leur auteur à un courant contestataire, culturellement
bien identifié, qui positionnerait alors les destinataires des missives dans une filiation qu’il souhaitait leur
assigner. Car les invectives reçues, étaient en fait l’exacte reproduction, dans la même typographie, de
libellés minimalistes adressés, via le truchement de la revue l’Internationale Situationniste, par Guy Debord
et ses amis à deux de leurs têtes de turc de l’époque. On pouvait lire alors, en pleine page d’un numéro de
la revue séditieuse "Georges Lapassade est un con" et "Gaston Gallimard est une raclure de bidet". Ce
détournement d’invective, redoublement en quelque sorte d’une pratique prônée par les situationnistes eux
mêmes, identifiait alors facilement l’auteur de la provocation. Nous connaissions ses références. On
pouvait comprendre leur usage.
Ce n’est pas ici le lieu de reprendre l’histoire de ce patient tourmenté, en révolte permanente,
constamment provocateur, parfois menaçant dans sa quête de reconnaissance, et dont les propos à forte
polarité paranoïaque empruntaient un moyen de les mettre en forme à une récente culture d’avant garde,
déjà objet de musée . Pour mon propos, je ne retiendrai que ceci : beaucoup plus tôt, dans son
adolescence, il avait fait une rencontre décisive. Alors qu’il était l’acteur d’un furieux tapage dans un centre
culturel de la ville, un homme était venu dialoguer longuement avec lui, et il s’était calmé. Il avait trouvé un
interlocuteur. Cet homme c’était Lucien Bonnafé, très peu de temps avant sa retraite. Cette rencontre avait
été son premier contact avec la psychiatrie. Transfert immédiat. Depuis de l’eau avait coulé sous les ponts.
Mais pour lui, les successeurs auraient à endosser la posture du fondateur, éminent personnage, dont la
considération l’avait marqué. Ils seraient donc pour lui, à défaut de jouir d’une notoriété équivalente,
assignés au communisme, tenus au surréalisme, de manière à poursuivre le dialogue polémique à peine
esquissé. Ainsi, il y tiendrait son rôle, forcément contestataire, porteur d’une voix politiquement plus
radicale, en rupture avec nos références littéraires supposées .
Ces lettres envoyées à la bonne adresse, au CMP, pouvaient faire rire, plutôt que susciter l’indignation. Un
collègue traité de con tant qu’on reste entre soi, ça ne porte pas à conséquence. On peut en plaisanter.
Mais la même phrase inscrite sur des murs, dans l’espace public, pouvait avoir une autre résonance. Des
tiers étaient alors pris à témoin, un peu comme si, l’injure inscrite au vu de tous, en appelait à une prise de
conscience d’un scandale ignoré jusqu’alors ("Paul Bretécher est un con"). Bref, les graffitis en cause
semblaient d’une toute autre teneur qu’un message adressé sous enveloppe à la bonne adresse. Une lettre
reste un objet de travail. Un graffiti c’est beaucoup plus déroutant. Et puis on s’interrogeait sur le sens
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d’un tel geste. Ne témoignait-il pas d’une intention, consciente ou inconsciente, ouvertement plus
agressive ? Ce débordement du cadre de soins, n’annonçait-il pas un crescendo dans la violence qui se
conclurait peut-être par un passage à l’acte à l’encontre des personnages désignés ? L’équipe s’en est émue
et nous en avons parlé en réunion. Comment fallait-il réagir ? Convoquer le patient, mais à quelles fins ?
Porter plainte ? L’hypothèse fut évoquée par certains, arguant que le recours à la loi commune, en pareille
circonstance (injures publiques), aurait valeur de rappel des limites à ne pas dépasser. Et puis, on
s’interrogea sur ce que signifiaient pour nous des graffitis découverts par hasard sur un mur. On se souvint
d’un autre temps où des phrases chocs ("sous les pavés la plage", "bureaucrates vous êtes déjà morts"...),
restées dans la mémoire collective, témoignaient du désir de voir le monde changer. C’était un temps où
l’on n’avait pas peur des provocations. Et de fil en aiguille, quelqu’un rappela un épisode qu’on avait
oublié. Quelques années plus tôt, dans la foulée d’une grève de soignants et des manifestations qui les
accompagnent, un matin, nous avions découvert, bombés sur des palissades des slogans en l’honneur de
notre "juste lutte". Qui les avaient écrits ? Peu importe, on ne voulait pas le savoir, mais ils nous avaient
réjouis. Notre patient "para-situationniste" y avait aussi été sensible et, avec ironie, nous l’avait fait savoir :
"alors comme ça maintenant, c’est la révolution, les psychiatres écrivent sur les murs ?" Alors on a réalisé
qu’on lui avait frayé la voie, ou plutôt, qu’ une fois encore, il nous suivait littéralement à la trace, agrippé à
la place de celui qui, effet du transfert à long terme, pour ne pas sombrer, se tiendrait toujours au delà des
" avant- gardes".
Traiter d’ un thème comme "psychiatrie de secteur et dignité des patients", impose alors, je crois, de
mettre en discussion, trois a priori :
 Le premier est d’affirmer comme allant de soi qu’un soignant, à fortiori en psychiatrie, respecte
nécessairement, aujourd’hui, l’humain à qui il rend service. Ce type d’affirmation parait, de prime abord,
incontestable. Elle se rattache d’abord à la plus vieille attitude soignante héritée de la tradition
Hippocratique : "commencer par ne pas nuire". Elle a été réaffirmée après le procès de Nuremberg. Donc
celui ou celle qui choisit d’exercer le métier d’infirmier, de psychologue, d’assistante sociale, d’aide
soignante ou de psychiatre, est tenu d’ adhérer aux règles strictes d’une déontologie héritée de cette
histoire. Celle-ci bannit toute forme de violence et de malmenage des corps et des esprits, quelque soit
leurs modes d’expression : brutalité physique, assujettissement, relation d’emprise, abus d’autorité, mépris,
stigmatisation, ou à l’inverse, manque de sollicitude, abandon ou non assistance à personne en danger. Et
même dans les situations de contrainte où pourtant ce principe essentiel est mis à l’épreuve, il s’impose
encore et dicte l’approche relationnelle que les soignants doivent adopter. A moins de faire fi de sa
professionnalité, chacun l’assume et plus encore, la revendique. D’ailleurs, tous les établissements de soins,
et pas simplement ceux qui ressortissent au service public, prétendent se porter garant de son effectivité.
La psychiatrie de secteur n’en aurait donc pas l’apanage. Mais un tel niveau de généralité recouvre en
réalité des situations extrêmement dissemblables, et la réitération solennelle de ces principes élémentaires,
quelles que soient les formes d’organisation du travail, et les conditions d’exercice professionnel, a souvent
pour fonction, de masquer les effets délétères des dispositifs de soins, en renvoyant chacun
individuellement, au respect de son éthique. Ainsi, quand se pose un problème, donnant lieu, par exemple
à une plainte, que se passe-t-il ? On observe alors que, dans la plupart des cas, la défaillance est pointée
comme un écart à la norme prescrite en haut lieu, dont la responsabilité incombe à un agent dont on dira
qu’il n’ a pas suivi les protocoles, et s’est montré, en l’occurrence, non professionnel, ou incompétent. Cela
permet de faire l’économie de toute interrogation sur les formations reçues, les techniques utilisées, le
mandat social dévolu aux opérateurs, et le type de "résultats" qu’on leur fixe en objectif. Or tout le monde
l’a noté, il y a, par exemple, une contradiction de taille entre obéir à des injonctions sécuritaires avec tout le
cortège des mesures de contrôle qu’elles supposent et respecter l’intimité à laquelle chacun a droit. La
reconnaissance en acte de la dignité d’un malade apparaît donc au regard des impératifs (économiques,
disciplinaires, normatifs) exigés, plus problématique que le principe ne l’affirme. Tenaillés par des
injonctions contradictoires, les soignants sont alors confrontés à de "véritables épreuves de
professionnalité", au sens où les définit Christian Laval. Ils doivent choisir ou composer, et pourquoi pas
même parfois ruser, afin de concilier ce qui s’ avère, en réalité, un dilemme permanent. Comment
revendiquer son "autonomie morale subjective" (Christophe Dejours), sans enfreindre les règles
prescrites ? On sait depuis longtemps que le travail réel s’écarte toujours du travail prescrit. Encore faut-il
pouvoir l’assumer. Or pour chacun, les marges de manoeuvre ne sont pas les mêmes selon les
agencements dans lesquels il est pris.
18
Si bien qu’on ne peut pas en rester à la réitération des principes généraux, aussi essentiels soient-ils, sans
considérer également les collectifs qui permettent de les actualiser. Récemment, à Montreuil, Yves Clot
soulignait que le "collectif est d’ abord celui que chacun porte en soi". A cette proposition dont les
implications sont très fécondes, on peut ajouter ce que Jean Oury nous a martelé depuis des lustres : un
collectif est une construction sine qua non à l’exercice des soins psychiques qui impliquent nécessairement
plusieurs protagonistes. Il s’agit en gros de tramer l’espace relationnel où chacun pourra se sentir soutenu
par les autres (fonction phorique), où néanmoins il sera possible d’apporter sa contribution singulière au
travail commun (fonction diacritique), et cela sans avoir à souffrir d’un climat de persécution ni céder à la
mélancolie ambiante (fonction pathique). Cette proposition de travail n’a rien d’une nouveauté. La mettre
en oeuvre est beaucoup plus compliqué. Mais plus que jamais aujourd’hui, où l’esprit de concurrence est
érigé en idéal, où "les bonnes pratiques" répondent à des schémas standards, où le sentiment de
persécution et le découragement brident les énergies, on voit mal comment on peut parler du respect de la
dignité des patients sans faire mention des soubassements collectifs qui leur font contrepoids.
Le second a priori qu’il convient aussi de mettre en débat, serait de considérer la psychiatrie de secteur
comme une réalité homogène, définitivement mise en oeuvre avec succès durant les decennies 70-90.
Selon ce schéma, après les années d’obscurantisme de l’âge asilaire, ce nouveau dispositif de soins aurait
su, par son mode d’implantation dans la cité, par la diversité, la souplesse et la fiabilité de ses formes de
réponse, par la cohérence de ses options cliniques, par son audience dans l’environnement social changer
radicalement l’image de la psychiatrie et la perception de la maladie mentale. Celle-ci ne serait plus
entachée d’indignité ou d’autres connotations péjoratives aussi bien chez les divers professionnels de la
relation d’aide (santé et social), qu’auprès des politiques ou de la société civile, dans sa majorité. Car si l’on
reste fidèle à l’esprit des promoteurs du secteur, Lucien Bonnafé, par exemple, associant le secteur à une
pratique" désaliéniste", celle-ci pouvait se définir ainsi : "Le désaliéniste est celui qui, ayant jeté aux orties
le froc de l’aliéniste, se présente sur la place publique en disant : Qu’y a-t-il pour votre service ?" Il travaille
à aider les divers organes de la société à vaincre l’intolérance aux "mauvais objets" qu’elle contient. Il tend
à diminuer la charge des institutions dont il a la responsabilité" (Sources du désaliénisme, VST, 1986). Les
attaques croissantes contre cette politique de secteur depuis 6 ou 7 ans, disons depuis le retour au pouvoir
d’un gouvernement de droite, heurterait donc l’éthos de l’ensemble des soignants ainsi qu’ une opinion
publique mieux à même de comprendre et d’accueillir les désordre de l’esprit. Or on sait bien que ce n’est
pas le cas. C’ est beaucoup plus compliqué. Par exemple : on associe souvent à tort ou à raison la
psychiatrie asilaire à trois termes qui résumeraient ses conceptions du traitement de la folie : l’internement,
l’ isolement, et les neuroleptiques à forte dose. Or quelque soit les batailles autour des statistiques, il ne
semble pas que globalement en France depuis 20 ans, le nombre d’internements ait significativement
diminué, que le recours aux chambres d’isolement ait disparu, ni que la consommation de psychotropes
soit notablement à la baisse. D’autre part, globalement, pour l’opinion commune, l’ image de la maladie
mentale n’ a pas beaucoup changé. Exceptionnellement associée à la figure de quelques rares artistes, elle
reste avant tout perçue comme un danger. Toujours est-il que la psychiatrie de secteur n’ a probablement
pas provoqué l effet de rupture qu’espéraient ses instigateurs.
Pourtant, très tôt, ses pionniers, tout comme ceux de la psychothérapie institutionnelle, avaient pensé
qu’un des axes de leur action thérapeutique, réinscrite dans le champ culturel et tramée avec le travail de
création , ferait brèche à l’ isolement et aux mécanisme d’ exclusion qui frappaient la folie. C’était le pari
posé à l’origine de l’ouverture d’ateliers en adjacence aux services, animés par des comédiens , des
musiciens, des peintres, des écrivains sensibles à la folie. Dans le même temps on assistait à une remise en
exergue de l’ art brut, à une sensibilisation des médias, à la réalisation de documentaires, à la présentation
de spectacles ou d’expositions issus de ces chantiers ou inspirés par eux. Cette affirmation multiforme,
fruit d’ un travail commun entre artistes, soignant et patients devaient permettre, pensait-on alors : 1) de
redonner une place active et visible à des personnes tenues à l’ écart et discréditées, 2) de leur proposer un
plus large registre d’expression et 3) de sensibiliser le sens commun, aux mécanismes de l’ inconscient, aux
tourments subjectifs, et aux contradictions qui habitent chacun. C’étaient là des projets que l’on peut dire à
la fois esthétiques, politiques autant que thérapeutiques. On espérait toutefois qu’ils aient une influence sur
un environnement dont nul ne pensait naïvement qu’il soit, par avance, "naturellement bon" (la formule
"le potentiel soignant du peuple" de L. Bonnafé" n’ a jamais signifié que celui-ci se manifeste
spontanément. C’est le résultat d’ un travail"). De ces recherches témoignaient déjà, il y a plus de 20 ans, le
"Projet Aloïse" de Roger Gentis, ou la tentative du mouvement "Le Cheval Bleu, inspiré de l’expérience
italienne. Aujourd’hui encore des équipes persévèrent dans cette voie (Le centre Artaud à Reims, "Les
19
temps mélés" à Morsang sur Orge, "Arimage" à Corbeil Essonnes, "Soin et Culture à Gennevilliers ou
l’"Atelier du Coin" à Montceau les Mines et bien d’autres encore...). Ces pratiques reconnues et très
inventives, dans un contexte défavorable, où par ailleurs la culture dans son ensemble est mise à mal,
restent fragiles. Etant donné les vents mauvais qui soufflent sur l’opinion elles sont, plus que jamais,
indispensables. Mais on doit admettre que globalement, la psychiatrie de secteur n’ a pas toujours su
trouver les alliés avec qui faire mouvement, ni les relais, hors du pré carré de la "spécialité psychiatrique",
qui décupleraient son action.
 Le troisième a priori, enfin, suppose que chacun, spontanément, sous une forme ou une autre
revendique le respect de sa dignité. Mais, qui est détenteur de la qualification de "dignité" ? Est-elle
accordée par autrui, par des instances externes, et selon quels critères ? Est-ce plutôt un sentiment que
l’on éprouve soi-même et dont on peut exiger la reconnaissance, dans une lutte, face à ceux qui la dénient
 ? Dans ce cas, ce que l’on nomme "dignité" s’apparenterait à la capacité de chacun, malade ou non de se
sentir digne d’amour, de respect ou d’estime (Axel Honneth). Or on sait bien que dans certains états de
souffrance psychique, dans bon nombre de pathologies (on pense bien sûr en premier aux états limites,
dépression, mélancolie, mais c’est vrai également dans les névroses), ce type de rapport à soi, est
profondément altéré. Cette auto dépréciation se dit parfois directement, parfois s’exprime en actes
symptomatiques qui induisent de la part de l’entourage une distance, une incompréhension ou un rejet. On
connaît bien ces moments où quelqu’un, en détresse ou en dérive agit de telle sorte qu’on s’écarte de lui.
Par lassitude, par crainte ou par indifférence, la réaction des autres confirme alors, à ses yeux l’image de sa
déchéance. Les soignants y sont souvent confrontés. En proie à ses tourments, une personne peut donc
s’affirmer indigne, et récuser l’attention, la sollicitude ou la reconnaissance d’autrui. Prise sous cet angle, on
pourrait alors considérer la dignité retrouvée d’un patient comme l’effet d’une conviction des soignants qui
dicte leur attitude. Elle suppléerait à une carence narcissique primordiale, processus de soins forcément
long et compliqué que la psychiatrie de secteur aurait pour vocation de faire advenir. L’entourage du
patient, également associé à cette inflexion subjective pourrait alors, après un temps d’ expectative,
conforter ce changement.
Ce schéma contient sûrement une part de vérité. Mais il est sans doute trop sommaire. Que dire des
situations qui suscitent nos réticences c’est-à-dire un transfert massivement négatif ? Pensons à ces
patients qui, dans un moment de délire vont chercher à s’imposer à nous de façon tonitruante,
scandaleuse, mégalomaniaque, ou tyrannique. Ou à ceux qui, malgré nos bons soins, ne lâchent pas leur
position d’indignité. Respectons-nous leur attitude, ou bien intervenons-nous plus fermement, malgré les
objections qu’ils nous opposent ? Dans de telles circonstances, l’indignité insupportable induit le plus
souvent une réaction autoritaire, c’est-à-dire un traitement sous contrainte. On s’ y sent obligé et ce n’est
jamais simple. Dans le meilleur des cas on nous saura gré d’avoir su intervenir à temps. Mais il arrive aussi,
par la suite, que le patient nous en fasse un reproche durable. Peut-on y rester indifférent ?
Souvenons-nous du personnage de la "vielle dame indigne" qui contrairement à toute attente et aux
bonnes intentions qu’on lui voue, décide, à un âge avancé, de n’en faire qu’à sa tête. Pour nous spectateurs,
c’est une figure très sympathique. Mais, dans l’histoire, ses interlocuteurs n’ont pas la même distance
amusée. C’ est bien que l’appréciation de ce qui est reconnu comme digne ou comme indigne ne fait pas
l’unanimité. Cela mérite donc un débat permanent, y compris, en premier, dans les collectifs soignants.
Pour conclure, je me contenterai de rappeler cette citation bien connue de Louis Le Guillant : "Bien des
affections chroniques, mentales ou non, ne sont-elles pas précisément, comme on commence à le
reconnaître de véritables modes d’existence, des manières d’être au monde ? Et ce monde ne doit-il pas
être conçu et organisé en fonction des niveaux, des structures, des traits dominants de chacune d’elles et
de chacun de ceux qui en sont atteints ?"
20
Bernard DURAND
Psychiatre, président de la FASM Croix Marine
Patient, usager, handicapé psychique : catégories ou allégorie.
Il y quelques années, Lucien Bonnafé s’interrogeait : « Qui est l’usager ? Qui peut parler en son nom ? »
Aujourd’hui, nous connaissons la réponse : l’usager lui-même, ce qui n’est pas sans déstabiliser certains
professionnels qui se montrent ambivalents, tout comme les familles d’ailleurs, à l’idée que les usagers
puissent avoir une parole propre sur les soins et ce dont ils ont besoin, voire même sur la qualité de l’offre
de soins comme l’on dit, c’est-à-dire aussi sur les professionnels.
Ce terme d’usager a comme première particularité d’avoir été choisi par les personnes concernées ellesmêmes,
alors que jusque là l’histoire de la folie et de la psychiatrie montre qu’elles étaient plutôt désignées
par autrui, par le corps social. Le fou, le malade mental faisait l’objet d’une désignation bientôt suivie d’une
assignation à résidence ou même plutôt d’une assignation à non résidence, d’un interdit de séjour avec ses
semblables : il devenait aliéné, c’est-à-dire étranger, autre.
Les représentations liées à ce terme d’usager sont toutes autres. Il y a dans celui-ci, en filigrane, une
connotation de solidarité entre les utilisateurs et ceux qui assurent un service public, une conception d’une
société de citoyens bien différente que celle qu’on nous promeut aujourd’hui avec la logique de marché
faite de concurrence et de clients et que l’on veut introduire au sein même de l’hôpital public. Ce terme
d’usager est aussi la traduction du terme anglo-saxon « user » utilisé par les associations déjà structurées en
Europe du nord en particulier.
Je voudrais néanmoins souligner le contexte dans lequel ce terme est apparu : il y a quelque chose qui a été
un facteur de changement important dans la manière de se situer par rapport à une maladie et les
médecins, c’est le sida. Cette affection a également été un élément déterminant chez les médecins engagés
dans la lutte contre cette maladie, dans leur positionnement éthique et par rapport aux malades. Un
partenariat s’est développé, y compris au sein de l’INSERM entre médecins, chercheurs et associations de
patients qui sont aujourd’hui associées y compris dans les choix concernant les projets de recherche à
retenir.
La publication de la loi de mars 2002 sur les droits des patients fait également partie du contexte de cette
montée des usagers qui met les soignants au pied du mur d’être sous le regard des patients ; ceux-ci
peuvent avoir accès à leur dossier et ils exigent de plus en plus de savoir le nom de leur maladie. Cela dit,
peut-on parler pour autant de démocratie sanitaire ? Il m’est arrivé d’y faire référence, mais à la réflexion,
je me demande aujourd’hui quel sens peut bien avoir ce concept kouchnérien.
Les associations d’usagers en psychiatrie sont récentes et la FNAPSY est née en 1992. Au départ, elles
regroupaient des ex-patients sortis de l’hôpital et leur objectif était surtout l’entraide et l’information.
Aujourd’hui, rien que la FNAPSY recoupe 65 associations et déclare regrouper 8000 usagers.
Mais à côté des ex-patients ou des patients eux-mêmes, il y a aussi les familles. Peut-on les considérer
comme des usagers ? Ce qui est certain, c’est que le regroupement des usagers dans une fédération a
contribué à faire évoluer l’UNAFAM. Il faut par ailleurs distinguer ce qui se passe avec l’UNAFAM et les
nombreuses associations de parents existant dans le champ de l’autisme. Je me souviens de la première
fois où un parent a participé à l’une de nos journées scientifiques de la Société de psychiatrie de l’enfant et
de l’adolescent ; depuis, c’est devenu banal et les échanges nombreux parfois tendus entre professionnels
et parents a fait évoluer les uns et les autres. La présence de Pierre Delion aujourd’hui et la violence dont il
a été l’objet de la part d’une soit disant association qui ne connaît que la même voix haineuse, ne doit pas
21
cacher la réalité du développement d’un véritable partenariat familles et professionnels que l’on voit à
l’oeuvre en particulier dans les Centres de Ressource Autisme (CRA).
L’autre terme évoqué dans le titre de mon intervention est handicapé psychique. De quoi s’agit-il ?
On dit que c’est la loi du 11 février 2005 qui a créé ce terme : c’est vrai et c’est faux à la fois, car il n’est pas
utilisé dans la loi. Je ne vais pas rappeler ici la connotation négative du concept de handicap et les
polémiques de la fin des années 70. Mais à l’époque, cette opposition était surtout construite sur les
représentations qu’évoquait le handicap. Celui-ci réveillait des réminiscences de la première préfiguration
de l’image du handicap, celle de l’idiot d’Esquirol. Ce célèbre aliéniste avait en effet décrit l’idiotie comme
étant un état fixé, définitif pour lequel il n’y avait rien à faire et c’est ce renoncement aux soins qu’avaient
refusé alors les psychiatres.
La loi d’orientation de 1975 sur les personnes handicapées avait été le résultat d’un lobbying actif des
familles d’enfants dits alors inadaptés (UNAPEI) et de l’APF (association des paralysés de France), mais
personne ne parlait à l’époque au nom des malades psychiques dont il était encore entendu qu’ils
relevaient uniquement des soins psychiatriques pour lesquels la sectorisation qui démarrait allait tout
régler.
On sait ce qu’il en a été, car si les structures de soins se sont effectivement développées, très peu de
choses ont été mises en place en termes de logement et d’accompagnement au quotidien alors que le
nombre de lits a diminué de manière radicale et qu’il était de plus en plus admis que l’hôpital ne pouvait
plus être un lieu de vie. Par ailleurs, même dans les secteurs qui avaient développées des réponses de
proximité, il faut constater que le temps offert aux patients sur une semaine était loin de répondre à leurs
besoins et que la solitude et la désocialisation étaient le lot de beaucoup d’entre eux - pensons en
particulier au désert relationnel fréquent après cinq heures du soir et les week-ends. De plus, il faut noter
que lorsque des associations porteuses de projets dans le registre social recherchaient un soutien et des
financements du côté des collectivités locales, on leur rétorquait à tout coup que la psychiatrie relevait du
domaine sanitaire et non de la solidarité.
Il a fallu les travaux de Wood, diffusés en France avec un certain retard à la fin des années 80, et la
classification internationale des handicaps (CIH) de l’OMS pour comprendre que handicap et maladie ne
s’opposaient pas, mais qu’il s’agissait d’un processus complexe, dynamique, interactif, qui conduisait à une
situation de désavantage social.
Lorsqu’il a été question de remplacer la loi de 1975 par une autre loi, les familles et les représentants des
usagers se sont mobilisés pour que cette fois-ci, on n’oublie pas les personnes souffrant de troubles
psychiques. Il s’est agi de faire exister cette population comme l’exprimait de manière explicite le rapport
CHARZAT de 2002.
Pendant des années, l’UNAFAM a tenté de faire entendre les besoins des patients qui vivent sans
accompagnement et s’isolent de plus en plus, en déplorant que les soignants ne soient pas plus ouverts sur
la cité. Elle n’a eu de cesse de réclamer, en plus de soins de qualité, des réponses en matière de logement,
de ressources financières et d’accompagnement social dans la cité. Elle y ajoutera ultérieurement deux
autres points : un appui juridique et lorsque cela est possible un emploi, pour en faire le plan psychique en
six points qui allait devenir le leitmotiv de son président Jean Canneva et de ses délégués.
La loi n°/2005-102 du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées » n’oubliera donc pas cette fois-ci les personnes confrontées à une situation de
handicap du fait de troubles psychiques. Cette loi de compromis qui n’ignore pas totalement la logique de
la loi précédente de 1975, qui classait les personnes sur leur déficience, s’appuie également sur la
Classification Internationale du Fonctionnement de la santé et du handicap (CIF), élaborée par l’OMS,
pour laquelle le handicap est lié avant tout aux obstacles que l’environnement met à la participation.
Pour limiter ces obstacles, la loi dispose de mettre en oeuvre un droit à compensation des conséquences
des incapacités, corollaire d’une vraie reconnaissance de citoyenneté. Grâce au travail préalablement
22
effectué par l’UNAFAM et la FNAPSY, la loi qui énumère les actions visant à organiser la politique de
prévention, de réduction et de compensation des handicaps évoque pour la première fois le
développement des Groupes d’entraide mutuelle.
Cette loi du 11 février 2005 est importante pour la psychiatrie : d’une part les intéressés eux-mêmes,
usagers et familles ont été directement impliqués dans sa préparation et d’autre part, au-delà de la
reconnaissance du handicap psychique, elle renoue d’une certaine manière avec la période d’avant
1970/1975 où l’action sociale en direction des personnes souffrant de troubles psychiques disposait d’une
certaine autonomie, tout en étant articulée avec les soins. Le maître - mot du plan santé mentale, qui va
suivre quelques semaines plus tard, sera d’ailleurs décloisonnement (entre le sanitaire et le médico-social).
Si apparemment, c’est la première fois que l’on évoque à ce point le handicap psychique, les choses ne
sont pas si simples, puisque les statuts d’origine du mouvement que j’ai l’honneur de présider, stipulaient
en 1952, que la Fédération des Sociétés Croix marine avait pour objectif « d’exercer une protection ou une
entraide psychologique et sociale en faveur des handicapés et mal adaptés psychiques ». Vous voyez que des mots
comme entraide, que l’on retrouve aujourd’hui dans les groupes d’entraide mutuelle ou handicapés étaient
déjà mis en avant. Les offices sociaux Croix marine mis en place à l’époque étaient en fait les précurseurs
des SAVS d’aujourd’hui (service d’accompagnement à la vie sociale). J’ajouterai néanmoins que de parler
de handicapés psychiques avec la catégorisation que cela sous-entend est profondément réducteur, voir
réifiant et contraire à l’esprit de la loi qui fait du handicap la résultante de tout ce qui s’oppose à
l’autonomie et la participation. Il faut mieux parler de personnes en situation de handicap pour des raisons
psychiques, car le handicap ne se situe pas seulement du côté de la personne, mais aussi de
l’environnement social (comme le développe la CIF de l’OMS).
Cette loi du 11 février 2005 n’est sûrement pas parfaite, mais elle représente une avancée considérable en
proposant cette conception radicalement différente du handicap ; elle a été aussi l’occasion d’une prise de
parole par les usagers et les familles qui sont devenus des partenaires à part entière. Ceux-ci nous disent
qu’ils ont besoin de soins, mais qu’ils ont également besoin d’autres réponses d’une autre nature avec
lesquelles nous allons devoir coopérer, car la continuité du parcours de vie est essentielle. Comme l’a
souligné Guy Baillon (2), cette loi a été le premier effet de la prise de parole des patients sur la scène
publique qui ont pu exprimer leurs propres besoins : « Alors que jusqu’alors, la parole des patients était invalidée,
à partir de cet instant, le statut de la parole folle a été transformée en statut de parole vraie, mais ajoute-t-il, personne ne
s’en est rendu compte et les conséquences n’ont pu en être encore tirées ».
Dans les années 90, des associations d’usagers adhérant à la FNAPSY ont ouvert un certain nombre de
structures qui s’apparentent à des clubs. Conçus à l’initiative exclusive d’usagers, ils fonctionnaient avec
des moyens limités et la FNAPSY souhaitait obtenir des moyens pour développer ce type de club. Ils
apparaissent beaucoup plus modestes que les clubhouses anglo-saxons, mais ils ont comme point
commun d’être des lieux accueillants permettant à des usagers de se retrouver pour simplement prendre
un café, discuter, organiser des sorties ensemble, partager quelques activités comme des ateliers d’écriture :
aucune obligation n’était imposée, aucune question n’était posée et ceux-ci n’avaient aucune vocation
soignante.
Les GEM qui ont été créés par la loi du 11 février 2005 ont été conçus comme une des réponses à la
question centrale du maintien du lien social et de lutte contre la solitude et l’isolement des personnes
affectées de troubles psychiques au long cours, pour lesquelles il n’existait pratiquement rien dans la cité,
en dehors des institutions de soins psychiatriques et de quelques clubs préexistants qui ne correspondaient
de toute façon qu’à un temps très limité de la vie des patients.
Les pouvoirs publics ont su éviter d’élaborer un texte verrouillant tout, en mettant les GEM dans une
position particulière qui les fait échapper aux différentes dispositions réglementaires visant les
établissements et services sociaux et médico-sociaux, car ils ne dispensent pas de « prises en charge ». La
définition des Groupes d’entraide mutuelle est donnée dans la circulaire du 29 août 2005 : des lieux
conviviaux, où des personnes peuvent se retrouver, s’informer, s’entraider, organiser ensemble des
activités visant tant au développement personnel qu’à créer des liens avec la communauté environnante.
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Ils sont destinés à des personnes qu’une altération de santé met en difficulté d’insertion sociale, qu’elles se
considèrent ou non comme étant handicapées.
Je pense vraiment que ce nouvel acronyme apporte une révolution dont nous n’avons pas encore pris
toute la mesure : l’engouement qu’ils ont suscité et les témoignages des usagers et des familles quatre ans
après leur création, montrent à quel point ils répondaient à une attente. Ils sont la concrétisation d’une
utopie des usagers et ils viennent occuper le chainon manquant dont parlait Claude Finkelstein, présidente
de la FNAPSY.
Les réactions des professionnels envers cette nouvelle donne ont été plus circonspectes. Certains ne
veulent voir dans les GEM qu’une des modalités de basculement des soins vers le social et suggèrent
même qu’il y aurait un glissement d’enveloppe des clubs thérapeutiques vers les GEM, ce qui est
totalement inexact puisqu’il s’agit d’un financement d’un autre ordre (via la CNSA). D’autres déplorent le
développement d’outils qui s’inscriraient dans une idéologie de l’occupationnel et de l’adaptation, dans la
méconnaissance de la complexité clinique, et ce, au détriment de la dimension des soins. Ils ne peuvent
concevoir une structure sans soignants, totalement disjointe de la fonction thérapeutique et sans qu’on y
pratique une analyse institutionnelle permanente.
Le troisième terme évoqué est celui de patient. Il renvoie volontiers au colloque traditionnel médecin -
malade et au modèle d’une médecine paternaliste ou le patient n’a d’autre choix que de donner sa
confiance au médecin, censé savoir sur la souffrance de celui qui a recours à lui, dans une relation
d’assujettissement. Ce modèle est remis en question depuis plusieurs décennies dans nos sociétés
occidentales où le patient devient client et exige d’être considéré comme un partenaire des soins, afin de
donner un consentement éclairé aux soins qu’on lui dispense. Patient renvoie beaucoup plus néanmoins à
la relation singulière médecin - malade et usager à celui d’utilisateur d’un dispositif. Aussi, si un psychiatre
peut parler de ses patients, il ne peut les considérer comme des usagers, même s’il dirige une institution, ce
qui serait une manière de tenter de récupérer la dynamique propre au regroupement des patients.
Patient, usager, personne en situation de handicap psychique ne sont donc pas des termes qui s’excluent,
mais une manière pour les personnes concernées de se positionner par rapport aux soignants, aux
institutions et aux instances politiques, car il est indéniable que la prise de parole des usagers est une réalité
que les pouvoirs publics ne peuvent ignorer. Si comme patients, ils peuvent subir les dérives sécuritaires
actuelles, comme usagers, ils sauront collectivement engager les recours nécessaires, y compris auprès des
autorités européennes.
Cette affirmation de l’existence des usagers et de leur situation de handicap impacte également la position
des professionnels de la psychiatrie. En particulier, la création des GEM, avec ce recours à l’entraide, nous
impose d’avoir un regard nouveau sur les personnes soignées en psychiatrie et nous n’avons pas encore
pris toute la mesure de ce constat.
Cette question de l’entraide que peuvent s’apporter les membres des GEM est essentielle. Certains, en
particulier dans la mouvance de la psychothérapie institutionnelle, émettent des doutes sur cette notion et
l’idée que des patients puissent se soutenir mutuellement, hors du regard des soignants, leur apparaît
difficilement acceptable. Pourtant, les faits sont là. Comment peut-on nier que des patients, qui vivent des
périodes de stabilisation ou de rémission prolongées, ne puissent constituer une composante d’appui pour
d’autres patients, dans une logique non plus de soin, mais de solidarité ? Sans oublier que ce lien de
solidarité dans l’expérience partagée de la maladie mentale les conforte eux-mêmes. Cela a conduit à parler
de pairs - aidants. C’est un fait, nous en avons des exemples tous les jours : on constate comment un
adhérent d’un GEM sait suggérer à tel autre adhérent de reprendre contact avec son psychiatre ou trouver
les mots qu’il faut dans un moment difficile.
Mais à côté des professionnels qui récusent cette notion d’entraide, il y a ceux qui veulent la récupérer en
faisant des pairs - aidants une catégorie de super - patients qui deviendraient des auxiliaires du soin dans
une logique de soins à l’anglo-saxonne et cela dans un contexte de réduction des moyens du sanitaire. Ne
nous laissons pas abuser par cette récupération pseudo - moderniste : ne laissons pas se galvauder cette
réalité des pairs - aidants. Celle-ci est un fait, c’est une situation se déclinant au participe présent : c’est un
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gérondif, mais ça ne saurait être un statut (avec des formations à l’appui) qui irait totalement à l’encontre
de cette solidarité partagée par les usagers.
Pour conclure,
La prise de conscience et l’organisation du mouvement des usagers est une avancée importante qui ne
peut qu’encourager tous ceux qui se sont battus pour changer les pratiques de la psychiatrie. Nous ne
pouvons que nous réjouir de la création des GEM qui constitue une innovation révolutionnaire
permettant un changement de regard sur les personnes atteintes dans leur psychisme, changement qui
s’inscrit dans ce long processus de désaliénation et de retour à la citoyenneté des malades mentaux.
La revendication d’une place d’usagers qui coupe le lien d’assujettissement aux soignants et la
reconnaissance de leur situation de handicap s’inscrit dans un processus de réappropriation de la parole,
aussi difficile qu’il soit à comprendre parfois par les soignants. Guy Baillon que je cite de nouveau explique
très bien que « nous sommes passés d’un monde de paroles non valides à un monde où le fait de dire « je suis une personne
en situation de handicap psychique » restaure cette personne, le « je » partiellement non malade de la personne est reconnu et
lui donne un autre statut ».
Aujourd’hui, force est de constater ce sont les usagers qui sont le fer de lance des changements, face à des
professionnels désabusés et inquiets devant une politique de santé mentale réduite à sa composante
sécuritaire.
Le militantisme des psychiatres pour les patients a laissé la place à celui des familles et des usagers. Ce sont
eux qui ont la légitimité pour réclamer et bâtir des réponses que nous n’avons pas toujours su construire,
parce que nous n’avions pas compris que la psychiatrie et le secteur n’avait pas vocation à répondre à tout.
J’affirme que c’est avec les représentants des usagers eux-mêmes en y intégrant les familles que nous
devons envisager l’avenir de la psychiatrie.
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Claude LOUZOUN
Psychiatre, Hauts de Seine
Droits fondamentaux de la personne et éthique professionnelle soignante :
Quelques considérations à propos de l’obligation de soin.
Ce texte n’est pas celui prononcé lors de la journée de Lille, mais l’essentiel d’un texte soumis aux « 39 », et
aussi à l’Union Syndicale de la Psychiatrie, pour débattre de la réforme annoncée de la loi du 27 juin 1990.
Première question : Quel est le point de départ de notre discussion ? L’absolue nécessité de ne pas
opposer seulement un front du refus. Nous dénonçons avec talent la dérive sécuritaire et nous
continuerons à le faire. Je rejoins tous ceux pour qui nos pratiques et notre éthique ont bien davantage à
avancer et à faire prévaloir que le seul NON à la répression, à l’instrumentalisation, à l’écrasement des
patients comme des soignants ; aussi essentiel et forcené (« Nous sommes tous des schizophrènes
dangereux ») soit-il.
 Pouvons nous alors poser au pot commun les premiers mots clés suivants : refus de loi d’exception ;
désaliénisme (psychiatrie démocratique ?) ; droits fondamentaux (incluant le droit au soin) ; obligation de
(prendre) soin (psychique) pour l’Etat et la psychiatrie en tant que droit commun pour toute personne qui
le nécessite ou le demande ; le « malade mental » est un humain, une personne, un individu, un sujet de
droit, un sujet … notre semblable.
Deuxième question que je nous pose : Est-il possible de riposter et ensuite de l’emporter seulement avec
une assise de professionnels et sans position affichée et partagée ?
 « Tout est en train de se durcir tant du côté de l’Etat que de la Justice. » (Patrick Chemla) : constat évident et
partagé. Mieux encore, le texte de Franck Chaumon, La psychiatrie sous contrainte, vient dire la situation.
 Puisque « l’hétérogène, c’est de l’hétéroclite organisé », nous devrions avoir les moyens d’oser organiser une
contre-offensive principielle et propositionnelle qui impose débat et reconsidérations.
 « Le risque c’est l’exemple » disait Victor Hugo. L’exemple c’est l’influence qu’exerce une personnalité, un
groupe.
En complément, ceci : « Evoquer légitimement le risque ne consiste pas à placer l’incertitude et la peur au coeur de
l’avenir, mais au contraire à essayer de faire du risque un réducteur d’incertitude afin de maîtriser l’avenir en développant
des moyens appropriés pour le rendre plus sûr. » (Castel, 2003). Alors pourquoi dans cette discussion, ne pas
réfléchir une éthique du risque ?
« Il y a éthique d’abord parce que, par l’acte grave de position de liberté, je m’arrache au cours des choses, à la nature et à ses
lois, à la vie même et à ses besoins. La liberté se pose comme l’autre de la nature. Avant donc de pouvoir opposer… Loi
morale à Loi physique, il faut opposer le pouvoir –être à l’être donné, le faire au tout fait ». (Paul Ricoeur). On est en
plein dans ce qui nous oppose aux tenants du scientisme, du cognitivo-comportementalisme, de
l’évaluation et des protocoles.
 L’expérience de l’altérité fonde l’éthique. L’altérité ici n’est pas simplement au sens de mêmeté, mais
bien l’altérité comme différence, comme opposition entre deux. L’hétérogénéité est en effet y compris
présente dans le consentement, le con-sentir, puisqu’il y a forcément partition des places, des rôles, des
paroles, des pouvoirs. A fortiori quand il s’agit de placement involontaire, d’internement, de détention, de
traitement obligatoire.
 Pourquoi faut-il une loi ?
« La législation psychiatrique est une codification technique de la conduite de la société à l’égard du malade mental. Cette
conduite est déterminée par un état social donné. », affirmaient Georges Daumézon et Lucien Bonnafé,
(L’internement conduite primitive de la société devant le malade mental. Recherche d’une attitude plus évoluée, Documents
de l’Information Psychiatrique n°1, 1953, pp. 81-107)
26
On peut compléter par ce propos de Mireille Delmas Marty, qui présida la commission de préparation de
la réforme Badinter du code pénal : « C’est peut-être l’exemple des aliénés qui permet le mieux de comprendre comment
se développe un raisonnement juridique qui tend à définir le seuil de compatibilité entre normes juridiques et médicales » (Un
nouvel usage des droits de l’homme, in La fabrique du corps humain – éthique médicale et droits de l’homme, Actes
Sud/INSERM, Paris, 1988, pp. 313-331).
Pour finir de délimiter le champ de réponse, on peut ajouter ceci :
« En tant que technique sociale spécifique, le droit peut être utilisé en vue d’atteindre n’importe quel but social. Il est donc
étroitement lié à l’ordre social dont il est issu et dont il désire le maintien. », Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Editions de
la Baconnière, Neuchâtel, 1988.
DES PRINCIPES À DISCUTER ET À AGITER :
Je propose que nous partions d’une posture qui ne soit pas celle du type « projet de loi », mais bien de ce
qui découle d’une éthique du soin que nous partageons au-delà des spécificités de nos pratiques
thérapeutiques.
Pour une réforme de progrès dans le soin obligé et la justice à faire aux personnes présentant un état de nécessité de soin
psychiatrique
La loi du 27 juin 1990, toilettage de la loi du 30 juin 1838, répond de manière contestable et insatisfaisante
à un tel objet. Nous devons être d’autant plus décidés à un changement législatif radical, que Sarkozy a
persisté dans son discours d’octobre 2009 dans la ligne de celui du 2 décembre 2008, face auquel nous
avons affirmé publiquement et massivement notre opposition déterminée et active.
La seule réforme possible de la loi de 1838 disaient en 1967 Lucien Bonnafé, Henri Ey et Paul Sivadon,
consiste en une loi qui dit, article unique, la loi de 1838 est abrogée. Ne devons nous pas être résolus à
mettre en discussion publique une telle orientation de réforme dans ses principes fondamentaux comme
pour le concret de son application dans le droit commun ?
 Pour définir ce qui pourrait devenir notre mode commun de penser, en ce qui concerne une loi de
"placement involontaire" et de traitement contraint, il faut écarter tout autant la tyrannie du consensus si
courante dans nos professions3, la croyance à la solution par l’autoritarisme qui redonne grand place à
l’enfermement, à la contrainte, au contrôle social, l’exclusion du risque qui signe la politique de la peur, le
poids du médiatique qui renforce l’invocation tous azimuts de la dangerosité, la revendication des victimes,
etc... L’adresse au droit doit permettre notamment d’encadrer, limiter le cours actuel (depuis les années 90)
d’expansion expertale, d’ambition savante prédictive, de prétention à évaluer et à solutionner qui
s’emboitent à la démagogie victimaire et à la folie répressive de la société actuelle. Notre adresse au droit
se doit d’intégrer la part d’utopie concrète contenue dans nos entreprises, d’enregistrer les modifications des
pratiques qui vont dans ce sens, de prendre acte du patient et de l’usager en tant que sujet, ici sujet de droit
en l’occurrence.
 Le soin obligé impose, du point de vue légal, une loi qui départage et arbitre entre les protagonistes
d’une situation de gravité psychiatrique et qui garantisse la plénitude comme l’effectivité des droits de la
personne concernée.
La législation psychiatrique ne doit plus être une législation d’exception. Nos aînés considéraient que la loi
du 3 janvier 1968 sur les incapables majeurs était un pas essentiel dans l’intégration des « malades
3 En référence entre autre à la « SYNTHESE DES POSITIONS DES PARTENAIRES SUR LES EVOLUTIONS A APPORTER A LA
LOI DE 1990 RELATIVE AUX DROITS DES PERSONNES HOSPITALISEES EN RAISON DE TROUBLES MENTAUX ET A
LEURS CONDITIONS D’HOSPITALISATION », DECEMBRE 2007, unissant Syndicat Universitaire de Psychiatrie (CASP), Union
Nationale des Amis et Familles de Malades psychiques (UNAFAM), Fédération Hospitalière de France (FHF), Fédération
Nationale des Associations d’(Ex) Patients en Psychiatrie (FNAP-Psy), Conférence des Présidents des Commissions Médicales
d’Etablissement des Centres Hospitaliers Spécialisés, Association Française des Directeurs de Soins (AFDS), Syndicat des
Psychiatres d’Exercice Public (IDEPP), Fédération Française de Psychiatrie (FFP), Comité d’Etudes des Formations Infirmières
et des pratiques en Psychiatrie (CEFI-PSY), Association des Etablissements participant au service public de Santé Mentale
(ADESM), du Collège de Recherche et d’Information Multidisciplinaire en Criminologie de l’Université de Poitiers (CRIMCUP),
Syndicat des Psychiatres de Secteur (IDEPP), Syndicat universitaire de psychiatrie , Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH),
CGT, CFDT santé-sociaux..
27
mentaux » dans le droit commun ; attente déçue par la loi de 1990. L’Espagne a été plus loin : c’est un
article du code civil qui régit les internements pour le « présumé incapable » (rédaction de 1983, réformée
depuis) ; il s’agit là d’incapacité au sens de manque de discernement et d’état ne permettant pas à la
personne de consentir.
Certains pays ont aménagé cette incapacité à consentir en « directives anticipées » (Suisse), en désignation
d’une « personne de confiance » (Belgique ; il serait intéressant de faire un bilan en France de cette
pratique stipulée dans une loi Kouchner) ; l’origine vient d’une revendication de mouvements d’usagers et
ex-usagers (allant jusqu’à se désigner comme « survivants » de la psychiatrie) : le « psichiatric will »
(testament psychiatrique). Il faudra réglementer de même la possibilité d’application contrainte de
traitement, le type de traitement donnant droit à une deuxième opinion (que celle du psychiatre traitant).
 Le placement involontaire (ou internement, ou hospitalisation sous contrainte) est une mesure
limitative ou privative de liberté et qui autorise à passer outre au consentement libre et éclairé de la
personne visée par la mesure.
Première ligne d’affrontement avec les orientations du président de la République, qui en demande le
renforcement, nous récusons que le pouvoir de décision soit administratif, ce qui a toujours donné un sens
de loi de police et un caractère de mesure de sûreté à l’internement psychiatrique.
√ A la lumière de l’évolution contemporaine de la psychiatrie, comme du droit en France et dans les pays
du Conseil de l’Europe, il s’agit de répondre à l’état de nécessité de soin psychiatrique dans le cadre du
droit commun, et donc d’en confier l’autorisation et le contrôle au pouvoir judiciaire civil. Il ne faut pas
oublier que le préfet est chargé de l’application de la politique gouvernementale et tout particulièrement du
ministre de l’Intérieur, alors qu’un juge est en charge d’appliquer les lois. Pas d’angélisme pour autant.
L’idée de « bonne loi » est déjà discutable ; quant à l’application effective, elle en serait bien trop souvent
formelle, garantiste, si elle n’est liée à des pratiques idoines.
La « judiciarisation » du « placement involontaire » modifie l’implication et les places des différents acteurs
dans l’obligation de porter soin à toute personne qui le nécessite dans le respect de la dignité de sa parole
et de sa personne, de ses droits.
L’internement psychiatrique doit se voir appliquer le principe de subsidiarité. Celui ci signifie que doit être
établi : que la personne concernée refuse soin et traitement, qu’elle présente un état psychiatrique avéré,
cliniquement grave et aigu, et qu’aucun autre moyen de soin n’a pu être proposé ou accepté. L’internement
ne peut se dérouler que dans un lieu de soin spécialisé agréé et assurant des soins 24h /24.
Une telle position signe non seulement une obligation de soin pour les personnes présentant cliniquement
un état de nécessité, mais aussi une obligation de soin pour les soignants et services, de même qu’une
obligation de moyens pour l’Etat en vue d’une psychiatrie d’accueil et de soin. Réfléchissons à cette
affirmation (discutable) de Georges Daumézon : « Comme l’acte médical, l’acte psychiatrique s’analyse comme une
relation entre un sujet et un technicien …… dans cette relation, seul le malade est sujet, le praticien doit se maintenir en
constante position d’objet, d’objet d’usage, d’instrument. »4
En conclusion :
« Le seul texte législatif s’appliquant pleinement et exclusivement à la maladie mentale et qui ne soit point anachronique
serait la traduction dans les formes juridiques actuelles de la proposition : La loi du 30 juin 1838 sur les aliénés est
abrogée5 »6 Cette prise de position radicale que nous devrions reprendre se complétait par : « …… l’abandon
de l’attitude ségrégative vis-à-vis des malades mentaux, et la disparition des hôpitaux psychiatriques et des maisons de santé
fonctionnant sous le régime de la loi de 1838 en tant que lieux spécifiques d’internement » 7. L’option de nos aînés est à
l’époque sanitaire : « …… les mesures de collocation forcée ou de soins imposés, ….., relèvent d’ajustements du code de la
santé, éventail de problèmes sur l’exigence thérapeutique et le consentement du sujet, du coma à la grève de la faim. » (note 4),
4 Daumézon Georges, Pour introduire la réflexion, in Guy Maruani, Psychiatrie et éthique : le psychiatre face au malade,
à la société et à lui-même, Privat, Toulouse, 1979.
5 On peut en exiger autant pour la loi du 27 juin 1990.
6 Ey H., Sivadon P., Bonnafé L., Faut-il « réformer » la loi de 1838 sur les « aliénés », Le concours médical, 21 janvier
1967, 89, 3, pp. 533-537.
7 Mignot Henri, Réflexions sur les principes d’une nouvelle législation concernant les malades mentaux, L’évolution
psychiatrique, 1967 II, pp. 375-402.
28
avec nécessité d’en rendre compte à l’autorité garante des droits des individus, au pouvoir judiciaire. C’est
ce qu’a réalisé Franco Basaglia en Italie en 1978, avec une loi instaurant le Traitement Sanitaire
Obligatoire, intégrée à la Loi d’institution du service national de santé. Les « questions techniques auxquels
nos illustres aînés se référaient, soit la dimension sanitaire et clinique, mais aussi celle de la vie publique
des personnes concernées (à différencier de la notion de troubles de l’ordre public, de dangerosité sociale,
etc.) doivent prévaloir toujours. Mais, comme le fait d’ailleurs la loi italienne, toute loi dont le propos est le
soin sans consentement doit être une loi de protection de la personne (donc dans laquelle l’autorité
judiciaire intervient) et non une loi de police (mesure de sûreté sous la houlette du préfet).
Aujourd’hui, le paradigme dominant n’est plus le même que dans les années 70, à l’évidence. Et cela
conduit à conséquences sur les positions à prendre et à défendre. N’oublions pas que, depuis le rapport
Strohl de 1997, coure l’option d’un traitement obligatoire dans la communauté et d’une rétention pour
évaluation de 72 heures sous contrainte et dans le cadre hospitalier. La « synthèse de décembre 2007 »
(citée en note p.26) confirmait cette orientation sur laquelle peuvent être greffées les exigences sécuritaires
de Sarkozy. Il s’agit de s’opposer résolument à la perspective d’un nouveau grand renfermement opérant
aussi bien dans les hôpitaux que sur le territoire. Nous sommes sommés alors de trouver les voies pour
empêcher la « psychiatrie criminelle » dont parle Sarkozy dans son discours du 6 octobre 2009, soit une
psychiatrie instrumentalisée au regard de ses missions de soin, une psychiatrie managée et managériale, une
psychiatrie d’élimination (comme la justice voulue par les lois Sarkozy), une psychiatrie participant de la
société de surveillance (projet du néolibéralisme), une psychiatrie du leurre scientiste et du déni du sujet.
29
Christian LAVAL,
Sociologue,
Directeur adjoint de l’ORSPERE/ONSMP
Créer, c’est résister
Le cycle de recomposition de l’identité et de la culture professionnelle, inaugurée en santé mentale depuis
trois décennies, est dans une phase de mutation qui entraine un certain malaise. Trois constats peuvent
rendre compte de cette mutation :
Premier constat : Les praticiens au front des dispositifs pallient la défaillance des institutions. Les
praticiens s’engagent entre eux et vis-à-vis des usagers par le fait qu’ils partagent un problème mis en
commun, dans un contexte d’institution défaillante ou de mise en échec des institutions (éducatives,
soignantes,..). Un seul exemple : certains adolescents se retrouvent exclus scolairement, socialement et
sont aussi en rupture de soin. Ils présentent par ce fait une mise en échec des institutions censées les
éduquer, les soigner, et les protéger. Comment pouvoir prendre soin de ces jeunes de manière différente ?
Second constat : Les professionnels vivent cette fonction « palliative » comme une situation d’implication
mais aussi d’embarras. Ils sont déstabilisés par une kyrielle d’injonctions institutionnelles contradictoires.
L’explosion des dispositifs à temporalité de plus en plus courte s’articule avec des programmes axés sur
des populations cibles posant de plus en plus souvent un « problème public » où soin et ordre public sont
inextricablement liés. Jusqu’où est-il possible dans un contexte de prescription contradictoire de s’aligner
sur la position de l’autre sans y perdre son identité ?
Dernier constat et non des moindres. L’implantation durable du nouveau management public dans le
champ de la santé (mentale). Il convient sur ce point de se reporter —entre autre— à la revue Rhizome
de l’automne 2009 intitulée : « le nouveau management public est il néfaste à la santé mentale ? »
Pour les professionnels, les conséquences cumulées de ces constats sont de deux ordres : procéduralisation
des taches accrues et sur - responsabilisation des individus. La mobilisation plus importante de la part
personnelle dans l’activité professionnelle risque fortement d’augmenter les processus d’écrasement de la
subjectivité (stress, usure, pathologies du travail). Comment combattre ou à minima canaliser la réforme
du management public et la procéduralisation des taches devenue un modèle réglementé donc qui
s’impose aux agents ?
Société complexe, institutions et professionnels
En vis-à-vis de ces premiers constats et de leurs conséquences sur les professionnels, quel sens peut on
donner à ces évolutions ?
Durant un demi-siècle, le rapport entre professionnels et institution est demeuré en équilibre (certes
conflictuel). C’est cet équilibre qui est aujourd’hui remis en cause. Pour comprendre cette rupture, il faut
analyser de près le rapport complexe que les professionnels du soin psychique entretiennent avec
l’institution psychiatrique depuis quatre décennies. Cette question s’inscrit dans un débat très actuel entre
ceux qui estiment que la société est engagée dans un processus généralisée de dés institutionnalisation et
ceux qui estiment que l’on assiste au contraire à de nouvelles formes d’institutionnalisation.
Pour penser cette controverse, les professionnels de la psychiatrie se sont enrichis depuis cinquante ans
d’un vrai trésor de guerre : celui des pratiques alternatives. Celles-ci ont été souvent présentées comme des
dispositifs de dés institutionnalisation. Ce qui ne rend compte que de la moitié du problème. En fait pour
saisir la nature, a priori moins visible, du lien entre alternativité et ré institutionnalisation, considérons-le
fait que le soin psychique est devenu une forme d’action publique multi modale dont le devenir ne lui appartient plus en
propre.
Reprenons. La société moderne est fragmentée. Elle est formée de sous systèmes qui tendent à résoudre
des problèmes spécifiques et dont la dynamique générale est de nature autoréférentielle. Le renoncement
de la maitrise toute puissante par l’état de sous-systèmes d’intervention va de pair avec l’incorporation des
représentants des professions dans le processus de mise en problème et de décision. Les professionnels
30
engagés dans un sous système (santé, social) ont alors tendance à s’auto référencer et à s’auto défendre.
Selon les moments de ce rapport évolutif entre l’Etat et le champ professionnel on peut parler de phase
de responsabilité, de légitimité des professionnels à réformer l’institution ou, dans les situations plus
tendues, de résistance plus ou moins active.
Ainsi la psychiatrie s’impose aux professionnels en tant qu’elle s’est construite comme institution qui
travaille à sa reproduction. En même temps, les professionnels qui « habitent » cette institution,
produisent sans arrêt des cadres d’interprétation des problèmes qui s’imposent à eux dans des
configurations locales et situés. L’apprentissage et la transmission de ce travail d’écart par rapport à la
reproduction du Même oblige à une réflexivité souvent inquiète qui est de nature à la fois personnelle et
technique mais aussi politique. Nous voudrions insister d’emblée sur cette dimension politique de l’action
professionnelle. Alors qu’elle est toujours tangible, elle est discrète la plupart du temps et refait surface
seulement en situation de tension. Alors, elle consiste spécifiquement à se situer dans la controverse des
changements non seulement possibles mais aussi déjà à l’oeuvre et à entrer en discussion —pas toujours
fluide— avec les pouvoirs publics, avec les usagers et autres acteurs aux fins de défendre des options et
des choix qui par définition sont a priori incommensurable avec les choix défendus par d’autres. Le champ
politique est ici à entendre comme le lieu toujours fragile ou ces choix incommensurables se confrontent
et finissent par produire une communauté de sens pour une majorité d’acteurs. Jusqu’où cet espace de
sens commun est garanti par l’Etat est une question itérative. A partir du moment ou de plus en plus
d’acteurs extérieurs (les usagers, les élus locaux..) exigeant d’avoir voix au chapitre, participent à
configurer ce que devrait être une action publique de santé mentale, l’Etat peut non exceptionnellement
perdre sa capacité à hiérarchiser les intérêts contradictoires ou pire bloquer les processus de changements
provoquant alors une situation bien identifiée par les acteurs par le terme d’immobilisme.
Si le changement est la résultante des interactions entre l’Etat et les acteurs des différents sous-systèmes
qu’il tente de coordonner, alors la force de proposition et l’inventivité des acteurs professionnels (audelà
de la résistance passive) dans ce processus de changement devient un enjeu majeur dont il convient
de mieux comprendre la dynamique générale. Dit autrement, aux professions envisagés comme des
instruments techniques au service des buts et missions poursuivis par l’Etat, se substitue des
professionnels auto référencés et réflexifs. Ceux-ci vont tenter de dégager des marges de manoeuvre et
donc de confronter et de composer avec d’autres leur vision du monde du soin psychique et de ce que
devrait être une politique de santé mentale digne d’être soutenue. Il faut bien comprendre que cette
tentative d’imposition/ confrontation se fait au nom même d’une lutte contre la contrainte exercée par
les institutions et leurs normes établies. Cette interpénétration des niveaux individuels/ professionnels et
des niveaux de structure vise un changement ordonné car négocié selon une éthique de la discussion
argumentée. Mais parfois ce processus s’enraye. Le nombre impressionnant de rapports produit sur l’état
et le devenir du soin psychique depuis les années 1980 est un signe fort de la violence feutrée qui colore ce
champ de pratiques, et donc des intérêts sous jacents divergents et des conflits dits ou déniés qui
traversent ce sous système de la santé mentale. La mise en problème incessante de nouvelles formes de
troubles et de souffrances, la difficile mise en agenda des réformes proposées ou bien encore les
modalités souvent peu lisibles de réponses publiques, tout nous oblige à aller au-delà des explications
simplistes de type calendrier électoral toujours trop court pour organiser les étapes de changement.
La clef de compréhension de certaines fluctuations ou flottements d’alliance ne peut être comprise par
l’observateur qu’en tentant de différencier les figures d’acteurs institutionnels, de celle d’acteurs critiques et
encore de celle d’acteur créatif. Tout en intégrant le fait que ces figures peuvent être abritées alternativement
parfois par la même personne !
Que faire alors ? Et comment le faire ? Insistons pour finir, sur cette figure de l’acteur créatif. Vous l’aurez
compris, l’acteur créatif ne s’oppose pas frontalement à l’acteur intéressé ou critique. L’acteur créatif est
aussi et même plus souvent qu’à son tour un acteur rationnel dans sa critique. Il est, comme tout acteur,
pris dans des logiques institutionnelles. Bref il n’est pas libre étant toujours situé dans un contexte de
contrainte cognitive et normative. Mais ce qui le caractérise c’est qu’il ne néglige pas de s’engager dans des processus
alternatifs. En fait comme l’histoire de la psychothérapie institutionnelle le montre, les acteurs créatifs
contribuent à faire changer les institutions en même temps qu’ils sont contraints par les institutions qui
les légitiment (la psychiatrie en l’occurrence). Si on applique ce raisonnement au temps présent, on
s’aperçoit alors que certains professionnels et pas d’autres (et non pas certaines professions) ont su et
savent encore contribuer activement à construire des alternatives institutionnelles dans le même temps où
31
les institutions les brident. Les travaux d’Hans Jonas sur l’agir créatif et Neil Fligstein8 sur l’acteur ingénieux
peuvent ici nous être d’un précieux recours. Ces deux auteurs posent l’importance d’une réflexion plus
systématisée sur les processus de changement et de créativité sociale. Mais Fligstein plus particulièrement
postule chez celui qu’il nomme l’acteur ingénieux une forme de ressource entre compétence et habilité qui
consiste à savoir traduire mais surtout à savoir faire coopérer des mondes sociaux et professionnels aux
cultures et aux intérêts différents. Il n’en reste pas là et postule que ces acteurs ingénieux sont des
acteurs indispensables dans le processus de changement car ils savent produire des praticiens plus
indéterminés quant à leur sentiment identitaire et leur culture de corps professionnel. C’est dans cette
problématique du changement que nous avons introduit, lors d’une recherche récente, une tension
constitutive entre professionnalisme et professionnalité. Alors que le professionnalisme a tendance en cas de
mise en péril de l’identité professionnelle à défendre le statu quo, la professionnalité, en tant que pratique
ingénieuse, tentera de créer de nouvelles règles créatrices d’un cadre institutionnel renouvelé quant aux
intérêts et aux identités des acteurs.
Ces travaux sont corroborés par beaucoup d’autres qui repèrent dans les processus de changement des
sous systèmes quels qu’ils soient des figures de traducteurs, de transcodeurs, de médiateurs qui à un
moment clef de la vie institutionnelle savent promouvoir une alternative ingénieuse. Enfin, ils sont
souvent des passeurs entre la logique « top down » et « bottom up » qui caractérise le modèle
contemporain d’un Etat moderne lui-même devenu médiateur.
L’acte de résistance est proprement inconcevable sans recherche d’alternativité. N’ayons pas peur
d’inverser la belle formule de Florence Aubenas et de Miguel Benasayag : « Créer, c’est résister ».
8 Neil Fligstein, “Social skill and the theory of fields”, Berkeley university of California , 2001
32
Pierre DELION
Professeur de psychiatrie, Lille
Enjeux cliniques et professionnels du travail en psychiatrie de service public
Tout d’abord, je tiens à remercier profondément les organisateurs de cette journée de manifester ainsi leur
solidarité avec Pierre Parésys et moi pour les attaques dont nous avons été les objets ces derniers temps,
car ce traumatisme ne s’effacera pas facilement. En effet, ces attaques ont eu et auront des conséquences
sur ma propre vie professionnelle et personnelle, du fait de leur violence et de leur déraison. Mais si je
réagis ainsi ce n’est pas (seulement) par nombrilisme exagéré, plutôt parce que je découvre que mon
compère et moi sommes sans doute représentatifs de nombre de nos collègues engagés dans la pratique
d’une psychiatrie désaliéniste, critiqués par les partisans objectifs d’une psychiatrie sécuritaire, mais peutêtre
aussi pour des raisons conjoncturelles du fait de nos prises de positions plus visibles dans le contexte
actuel (notamment l’aventure de « pas de zéro de conduite »), et aussi pour des « choses » qui nous sont
« reprochées ». L’utilisation de ce vocabulaire de l’école primaire pour qualifier et s’inquiéter d’un élève en
mauvaise passe auprès de ses parents est à l’aune de ce qui se passe ces temps-ci en matière de démocratie
de la part des gouvernants et de certains citoyens : « surtout ! ne pensez pas trop ! restez des enfants, nous
nous occupons de tout ».
Pierre Parésys a fait l’objet d’une rétorsion directe résultant de ses prises de position dans le service public
de psychiatrie. Il paye et va payer bien chèrement sa liberté de ton et d’esprit en terme symbolique, à la
fois dans le service qu’il a dirigé jusqu’alors et dans ses rapports avec les autorités de tutelle régionales,
puisque son remplacement en tant que responsable du service sectorisé dans lequel il avait assumé sa
responsabilité antérieurement, a été demandé par les directeurs de son hôpital et de l’agence régionale. Les
personnes qui ont décidé cette mesure indigne de notre démocratie, viennent, sans le savoir ou en le
sachant, confirmer nos pires craintes en ce qui concerne l’application « dure » de la loi Bachelot. Si vous
aviez encore des doutes sur l’application de la supériorité hiérarchique des directeurs dans les
hôpitaux…Et notre ami Pierre Parésys a au moins l’avantage, peut-être le seul, de savoir qui pilote
l’oukase et quelle est la cible visée. Par contre, en ce qui concerne l’affaire dans laquelle je suis « trempé »
(le packing est habituellement réalisé avec l’aide de linges mouillés !) en tant que victime expiatoire d’une
association de parents d’enfants autistes qui m’a déclaré, ainsi qu’à d’autres plus récemment, une guerre
sans merci, les buts de la manoeuvre calomniatrice sont beaucoup plus délicats à déterminer, hormis ce qui
apparaît dans les médias et sur le site de l’association en question. L’aphorisme « à qui profite le crime ? »
peut toutefois être utilisé dans cette occurrence, car voilà un scénario paranoïaque en diable dans lequel il
me faut l’aide de tous mes amis parents d’enfants que je soigne depuis des lustres, et professionnels de
tous bords que je connais depuis longtemps, pour faire pièce à ce fantasme qui m’envahit parfois : soit me
lancer dans des procès en défense contre ces stratèges de la communication soit, à l’inverse, tout laisser
tomber. Mais ce n’est pas le genre de la maison (folie), et si c’est le but recherché, je suis désolé de
m’accrocher à mon poste et à mes fonctions : je suis un adepte de la continuité (des soins) ! Mais dans les
deux cas, il s’avère que la stratégie qui est à l’oeuvre est celle de la déstabilisation de l’adversaire par la mise
en cause de ses capacités, compétences et autres habitudes qui fondent notre légitimité ordinaire et
fonctionnelle, celle qui nous permet de travailler avec les patients, leurs familles et les professionnels qui
les accueillent. Avec les moyens de communication récents, il est facile de « descendre » quelqu’un en
maniant avec une subtilité relative la calomnie dans la mesure où les effets attendus —la déstabilisation de
l’adversaire— sont quasiment immédiats, tandis que le droit qui permettrait d’en arrêter les errements sera
lui, très long à mettre en oeuvre, et pour des résultats —le franc symbolique de dommages et intérêts—
très en dessous des dommages causés. Ce qui laisse à penser que ces basses manoeuvres sont l’objet de
stratégies organisées qui nous rappellent tellement les menées contre la psychiatrie d’une certaine église de
scientologie en son temps…C’est aussi, parmi bien d’autres éléments, ce qui me conduit à parler
aujourd’hui de passage progressif de la démocratie à la (pseudo) « démocratie médiatique ». En effet, la
parole libre, celle du débat démocratique, celle de la conflictualisation des problèmes de la vie quotidienne,
ce que nos « ancêtres » appelaient la dialectique, n’est plus de mise : on ne pose pas une question sur un
33
sujet dont on cherche à savoir pourquoi et comment il se règle de telle ou telle manière, afin de faire
avancer la problématique dont il relève, non !, on « tire » sur une personne, on la dénonce aux
représentants de l’Etat en pensant que ce dernier va rendre un avis dans le sens attendu et le problème
soulevé est transformé d’un coup en personne représentative à « supprimer » de façon à faire taire le
problème qu’elle représente. Cette tactique de dénonciation, proche des pratiques des temps d’occupation,
est mortifère : elle porte en elle la mort sinon des personnes, du moins de leur pensée, laquelle ne peut se
satisfaire de totalisation univoque : la pensée est plurielle, la pensée est contradictoire, la pensée est
coûteuse en énergie et exigeante en définition. La démocratie médiatique, elle, est portée par des
« thanatophores ». Et des médias peu scrupuleuses, plutôt que de servir, en tant que quatrième pouvoir, la
démocratie, d’un coup, l’aliènent, en se faisant les renforçateurs de ces procédés totalisants. Le stalinisme
rampant est de retour et les affaires Lyssenko et Jdanov vont refleurir comme autant de souvenirs
vénéneux d’une tyrannie pratiquant la « langue du troisième empire » (LTI de Klemperer), pensée à propos
du Reich (le troisième), mais qui se généralise à toutes formes de totalitarisme, actualisant l’invention
orwellienne, la « novlangue ». Pour ceux qui ne seraient pas au courant de l’ « affaire packing », il s’agit de
l’accusation par une association de parents d’enfants autistes, de pratiquer une méthode barbare, le
packing, en torturant les enfants, en ne prévenant pas leurs parents qu’on la leur applique et d’autres
fariboles de ce niveau. Je ne vais pas ici refaire un cours sur cette technique de survie dans quelques cas
d’enfants autistes notamment automutilateurs, mais plutôt renvoyer à mes écrits publiés sur cette question.
Toujours est-il que cette association, profitant de la journée mondiale de l’autisme en avril 2009, défilent
déguisés en patients « packés », et sont reçus par des fonctionnaires du ministère de la santé auxquels ils
demandent un moratoire sur le packing. Une large place est faite dans les médias à cette manifestation
inhabituelle et une longue interview m’est demandée par la télévision, mais qui ne sera pas diffusée,
laissant ainsi la place aux seuls détracteurs de cette technique, sans la nécessaire contrepartie
« démocratique ». Le débat est tronqué dès le départ par désinformation du public. Et toujours est-il que la
calomnie se répand et a pour effets de déclencher des mesures et contre mesures au niveau ministériel,
dont certaines ont eu des effets délétères sur la pratique elle-même, nous mettant par le biais d’internet et
des sites se faisant l’écho de tels propos, dans une très grande difficulté pour continuer les soins entrepris
auprès des enfants, et jetant sur l’ensemble de ma pratique et sur celles des équipes pratiquant le packing,
un discrédit dont les effets continuent toujours aujourd’hui, remettant en cause la recherche scientifique
entreprise dans le cadre ministériel (PHRC accepté par le ministère en 2008). C’est ainsi que Valérie
Létard, alors ministre déléguée aux personnes handicapées, se permet de reprendre sans aucune précaution
les propos du président de l’association en question et de hurler avec les loups. Son discours ira jusqu’à
figurer sur le site du ministère. Heureusement, Roselyne Bachelot, conseillée par quelques uns des hauts
fonctionnaires de façon tempérée, fera une rectification rapide. Mais le mal est fait et de nombreuses
équipes abandonnent la pratique du packing par crainte de rétorsion. Quand je repense maintenant à cette
affaire, je me dis que je n’ai pas assez tenu compte de la proposition de Tosquelles qui consiste à faire
avancer nos pratiques de psychothérapie institutionnelle sur deux jambes : la jambe psychanalytique et
psychopathologique et la jambe politique. Ici nous n’avons pas assez parlé de nos pratiques, de nos
techniques, de nos problèmes concrets de soins dans des situations extrêmes, telles que celles des
automutilations, notamment auprès des parents, de leurs représentants associatifs, des tutelles… Mais
trêve de regrets, si cette opportunité ne s’était pas présentée sur un tel sujet, il m’apparaît désormais
incontournable que nos détracteurs en aurait trouvé une autre, puisque ce qui se manifeste
progressivement, ce n’est pas tant la critique de la pratique du packing elle-même, qui se révèle
uniquement un « embrayeur » pour la déconstruction de la pédopsychiatrie française de secteur, mais bien
plutôt la psychanalyse et la psychopathologie comme signes de la ringardise des pédopsychiatres français.
Il me semble donc important de resituer toute cette affaire dans le contexte général de la disqualification
des acteurs de santé par les détracteurs institutionnels et en premier lieu par les gouvernants et leurs
experts manifestement incompétents dans ce domaine, qui, par souci démagogique ont beau jeu de faire
passer la psychiatrie de secteur pour une doctrine vétuste n’ayant pas montré ses capacités de venir à bout
de tous les problèmes présentés par la folie dans notre société. La remise en cause par nos propres
gouvernants de nos moyens de travailler vient légitimer les forces qui sont à l’oeuvre pour la déconstruire.
Il est facile aujourd’hui d’oublier les longs processus qui avaient permis d’en changer les mécanismes et
d’en transformer les dispositifs opératoires. Et actuellement, une des principales tendances pour faire
oeuvre de déconstruction de la pensée qui a présidé aux radicales transformations de l’asile en dispositif
ouvert et accueillant la souffrance psychique dans la cité, est l’utilisation sans vergogne de la science
comme garant de la vérité internationale (transatlantique), la seule qui vaille désormais… De ce point de
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vue, la science est une ossature forte de nos pratiques et théorisations médicales. Et nous ne pouvons que
nous réjouir des avancées scientifiques qui nous permettent de mieux comprendre et de mieux soigner.
Mais par contre, il est important de rappeler que la médecine qui n’est qu’une des formes particulières de
la relation humaine créée pour soulager les souffrances humaines, si elle doit absolument intégrer les
avancées scientifiques en question pour mieux soigner, ne doit pas, sous ce seul prétexte, laisser tomber
tout ce qui serait du registre humain pour satisfaire aux exigences scientifiques. Aujourd’hui, plus que
jamais, la maxime rabelaisienne « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » s’impose à nos
pratiques et à nos réflexions, et rappelle que l’éthique est le fondement de notre exercice médical. En
psychiatrie plus qu’ailleurs, et en pédopsychiatrie encore plus qu’en psychiatrie, la question de la relation se
pose de façon exemplaire, et toute praxis qui prétendrait s’y soustraire ne pourrait que déboucher sur des
pratiques peu acceptables. Prescrire du méthylphénidate à un enfant qui présente tous les signes avérés de
ce nouveau syndrome, « le THADA », est un élément du traitement ; mais ne prescrire que ce psychotrope
en prétendant que cette prescription résout l’ensemble du problème posé à l’enfant par ce diagnostic est
précisément ce qu’il me semble important d’éviter. Un travail psychothérapique pour lui permettre de
« faire-avec » cette pathologie et avec la prescription qu’elle nécessite est pour moi une évidence
« culturelle ». D’où la notion de pédopsychiatrie intégrative, celle qui consiste à proposer à l’enfant qui
vient nous trouver, tout ce que la science en l’état actuel des connaissances peut nous permettre de lui
offrir, mais dans un cadre psychothérapique prévalent dans lequel la démarche en appui sur la
compréhension psychopathologique est un élément central pour la conduite de la prise en charge de cet
enfant, en lien avec sa quête implicite du sens de son comportement. Dans l’approche intégrative, les
aspects thérapeutiques sont pris en considération à côté d’autres éléments importants qui relèvent du
pédagogique et de l’éducatif, en proportions variables, dépendant uniquement de la construction du
costume sur mesure que cet enfant nécessite. Il va de soi que dans une telle démarche, les dimensions
scientifiques et psychothérapiques, plutôt de s’opposer ne peuvent que bénéficier de leurs
complémentarités. Pour parler clairement, un enfant autiste peut bénéficier d’une approche éducative par
une des méthodes que ses parents auront trouvé utile pour son développement et qui viendra compléter
les fonctions éducatives parentales. Il peut bénéficier également d’une approche pédagogique en fonction
de ses spécificités d’apprentissage. Mais si le cas se présente, et que ses angoisses archaïques sont
envahissantes, alors une approche thérapeutique peut venir trouver une place intéressante pour lui dans
l’ensemble de ses prises en charge. Et dans les aspects thérapeutiques, pourquoi pas un packing lorsqu’il
s’agit d’un enfant très automutilateur chez lequel ont déjà été essayés de nombreux autres traitements sans
résultats ? Une telle pratique est de l’ordre de la pédopsychiatrie intégrative et elle nous permet aujourd’hui
de proposer des prises en charge répondant à ces difficultés importantes des enfants en question. Nous
sommes là très loin de ces revendications paradoxales portées par toujours la même association : « ne
parlez plus de psychose parce que cela justifierait la prise en charge par un psychiatre ; vous devez parler
d’autisme parce que cela justifie la prise en charge par un neurologue …. ». Bien sûr qu’il y a des
déterminants biologiques dans l’autisme, mais si ces approches doivent profiter des découvertes
scientifiques, en aucun cas, elles ne justifient l’abandon de la part développementale et humaine, et donc
psychothérapique, de leur prise en charge.
Aussi me semble-t-il de plus en plus important de tenir sur la logique de la psychiatrie de secteur qui a
permis de transformer radicalement la psychiatrie antérieure en une théoricopratique centrée sur le sujet
en lien avec les autres et avec la cité, et ce au terme de nombreuses années de souffrances vécues par les
patients et leurs professionnels à l’asile avant sa mise en place, et de nombreuses années de réflexion avant
son acceptation par la société et ses représentants politiques et décisionnels. La remise en cause de ce
dispositif qui demeure la plus grande avancée de la psychiatrie me semble aller de pair avec les reculs
récents de la démocratie, les modifications de l’économie restreinte qui président aux problématiques de
santé et de société, l’horreur pour la pensée qui se développe de plus en plus dans la politique générale et
dans l’économie domestique, en appui idéologique sur son média, principale source de déconstruction de
notre humanité, sous la forme de « l’allaitement télévisuel » constant des citoyens, et ce, dès le plus jeune
âge.
Pour toutes ces raisons, il me semble utile et profitable de lutter et de résister pour maintenir les
conditions de possibilité de cette forme révolutionnaire d’exercice de notre profession, mais aussi
d’inventer des formes qui, sans dénaturer la structure fondamentale, permettent d’en tirer toutes les
avancées que nous pouvons vraiment en attendre désormais.