Pour le vice-président au tribunal de grande instance de Paris, invité de Nouvelobs.com, "toutes nos institutions démocratiques sont en péril"

Article Nouvel Obs

Pour le vice-président au tribunal de grande instance de Paris, invité de Nouvelobs.com, "toutes nos institutions démocratiques sont en péril".

Vendredi 24 septembre Serge Portelli, magistrat, vice-président au tribunal de grande instance de Paris, était l’invité d’un tchat sur Nouvelobs.com. Une semaine après les propositions choc du ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux (élection de certains juges, jury populaire au correctionnel...), des internautes s’interrogent sur l’avenir de la justice en France. "Pour vous est-elle en danger ?" demande un internaute. "Evidemment, la justice est en danger. Mais elle n’a pas le privilège du danger. Ce sont toutes nos institutions démocratiques qui sont en péril", répond Serge Portelli.
"Pour quelques juges indépendants, combien de magistrats complaisant envers le pouvoir (Courroye, Marin etc...) ?", questionne un autre internaute. Réponse de Portelli : "Il faut bien distinguer les deux métiers de magistrats qui sont aujourd’hui liés en France : d’un côté les procureurs de la République, hiérarchisés et dépendants plus que jamais du pouvoir, et de l’autre les juges qui n’ont de compte à rendre à personne et n’obéissent qu’à la loi et à leur conscience. (…) Parmi les juges, on assiste aujourd’hui à un mouvement de résistance et même de révolte, face à toutes les pressions directes et indirectes. La pression exercée par le pouvoir est telle, sa maladresse aussi, le danger est tellement grand de voir disparaître le métier même de juge, que cette révolte, particulièrement saine pour notre démocratie, ne pourra que se poursuivre et s’amplifier."

Deux poids , deux mesures
"Comment expliquer l’impunité dont bénéficient les personnalités politiques, économiques et financières alors qu’un citoyen lambda est jugé sans compromis ? Cette inégalité de traitement judiciaire n’est-elle pas le signe d’une régression démocratique ?", s’inquiète un internaute. Réponse : "Cette différence de traitement a malheureusement existé de tout temps, sous tous les régimes. Mais elle est parfois plus marquée comme aujourd’hui. Le régime dans lequel nous vivons est notamment caractérisé par les liens extrêmement étroits entre le pouvoir politique et le pouvoir économique. Nous assistons donc plus que jamais à une sorte d’impunité des puissants du moment. La classe politique semble n’avoir jamais été aussi vertueuse. Les hommes d’affaires - tant mieux pour eux - fréquentent de moins en moins le pôle économique et financier. Les juges d’instruction financiers sont presque réduits au chômage. Les procureurs de la République ont pris en main tous les dossiers sensibles. La suppression du juge d’instruction devrait compléter le tableau. Il est grand temps de revenir à une justice qui soit égale pour tous."

Menace sur les contre-pouvoirs
"Comme décryptez-vous l’idée d’installer des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels ?", demande une internaute. "La question pourrait être discutée. Avec sérénité. Mais la proposition actuelle s’inscrit dans un tout autre contexte. Il faut bien comprendre que le pouvoir actuel cherche par tout moyen à supprimer ou abaisser les contre-pouvoirs qui sont pourtant les fondements de la démocratie. Il suffit de regarder comment fonctionne le parlement, de regarder toutes les attaques contre l’indépendance de la presse. La justice est dans la même situation", répond le magistrat.
Un autre lecteur revient sur l’exécution de Teresa Lewis, l’Américaine condamnée pour complicité d’assassinat dont le QI dépassait de 2 points le seuil de la déficience mentale. "C’est un scandale absolu. Il nous en dit long sur les Etats-Unis et surtout sur la justice américaine. Il est difficile d’aller plus loin dans la barbarie. Peut-être devrions-nous y penser avant d’essayer d’adopter sans réfléchir des lois américaines qu’on nous présente systématiquement comme un modèle (les peines planchers, le plaider coupable...). Le système judiciaire américain a une cohérence. Terrible", répond Serge Portelli.

Les mensonges et les faits
"Mais les juges ne devraient-ils pas rendre des comptes ?", demande un internaute. "Il existe un système de responsabilité des juges qui a été amélioré récemment. Les juges ne sont pas du tout irresponsables contrairement à ce que l’on essaie de faire croire. La question de la responsabilité des institutions ne concerne d’ailleurs pas que les juges. Aujourd’hui se pose aussi la question de la responsabilité du chef de l’Etat et celle des ministres".
Pour un autre internaute, les juges sont trop cléments. "La justice n’a jamais été aussi sévère, les prisons n’ont jamais été aussi pleines. Les cours d’assises prononcent chaque année 20 à 30 réclusions criminelles à perpétuité. Les peines de plus de 20 ans augmentent régulièrement, de même que le nombre de détenus à de longues peines. Il serait donc bon d’arrêter de mentir sur cette réalité, en faisant semblant de croire que les juges sont laxistes, ce qui est tout simplement faux."

Claire Fleury – NouvelObs.com