Soyons au rendez-vous du métier

Source Collectifdes39
Intervention place de la République le 25 Mai 2011.

Yves CLOT.

Drôle de société. La maladie mentale est bientôt un délit avec l’obligation de soin ambulatoire sans consentement, décidée par la justice se subordonnant la psychiatrie.

C’est sûrement l’indice d’un grave retournement social : alors que le racisme qui est encore un délit tend à devenir le signe d’une transgression tolérée et finalement « normale », la folie — cette transgression normale propre à l’humain — tend à devenir un délit. Ce qui est légalement condamnable est de moins en moins condamné et ce qui n’est pas condamnable, la folie, est de plus en plus condamné.

Ce faisant, pendant que la vie sociale devient monologique et atone, refoulant ce qui divise, déniant les conflits qui l’empoisonne et qui la fragilise, la chasse aux fragiles a commencé. Ils sont devenu le virus à dépister, la toxine à éliminer. Le déni des conflits politiques qui rongent une société cassante réveille les recettes hygiénistes de l’ancien Virchow : « La politique n’est jamais que de la médecine à grande échelle ». Mais voilà, à grande échelle, la médecine est vite le contraire de la médecine, un retraitement des déchets subjectifs du travail et du social, une police sanitaire, une nouvelle technologie de protection rapprochée fondée sur la compliance du « protégé ».

Mais, comme toujours, le danger — le vrai — n’est pas dans ce qu’on nous fait. Il est dans ce que nous n’arrivons pas à faire de ce qu’on nous fait. Il est dans le métier empoisonné par l’impuissance. Car l’impuissance est active. Elle tend à faire disparaître de la conscience professionnelle le contenu déplaisant, inopportun et intrusif contre lequel on ne réussit pas à se défendre. Le vrai danger est là, dans le risque du renoncement à faire son métier correctement au moment même où il le demande le plus.

Pensons à l’Estragon et au Vladimir de Beckett hésitant tous les deux devant Pozzo qui appelle au secours : « Vladimir : Le mieux serait de profiter de ce qu’il appelle au secours pour le secourir en tablant sur sa reconnaissance. Faisons quelque chose pendant que l’occasion se présente ! Ce n’est pas tous es jours qu’on a besoin de nous. D’autres feraient aussi bien l’affaire sinon mieux. L’appel que nous venons d’entendre c’est plutôt à l’humanité toute entière qu’il s’adresse. Mais à cet endroit, en ce moment, l’humanité c’est nous, que ça nous plaise ou non. Profitons en avant qu’il soit trop tard. Nous sommes au rendez-vous . Un point c’est tout. Nous ne sommes pas des saints mais nous sommes au rendez-vous. Combien de gens pourraient en dire autant ».

Ainsi parlait Vladimir.

Oui, il y a bien une contrainte au soin à imposer. Mais pas où on le dit ! Il faut contraindre l’Etat à prendre soin de la folie. Et c’est le développement de vos métiers qui le permet. C’est ce développement qui protège les citoyens. Pas la police, sanitaire ou non.

Soyons au rendez-vous du métier. Un point c’est tout. On verra alors qu’on peut le défendre. A condition de s’y attaquer.