Disparition de Ginette Raimbault (1924-2014)

Nous venons d’apprendre la mort à Paris de Ginette Raimbault le 19 février. Atteinte depuis des années d’une maladie d’Alzheimer, elle était née à Alger le 28 avril 1924. Analysée par Lacan, membre fondateur de l’Ecole freudienne de Paris, mariée à Emile Raimbault, lui-même psychanalyste, elle avait été la principale collaboratrice de Jenny Aubry, à la Policlinique du boulevard Ney puis à l’hôpital des Enfants Malades. Elle avait travaillé dans le service de Pierre Royer, puis à l’INSERM et avait participé en 1966 à la table ronde organisé par Jenny Aubry sur la place de la psychanalyse dans la médecine. Elle est l’auteur de nombreux livres publiés aux éditions du Seuil et chez Odile Jacob.

Le Mercredi 19 février 2014 13h57, Yves Gigou a écrit :
"Faire le deuil d’un enfant" par Elisabeth Roudinesco, à propos de « Lorsque l’enfant disparaît » de Ginette Raimbault - Le Monde
19 février 2014, 13:13

Elève de Jenny Aubry,membre de l’Ecole freudienne de Paris (1964-1980), Ginette Raimbault, analyséepar Jacques Lacan, et marquée par l’enseignement du psychanalyste anglaisMichael Balint, est connue pour ses activités de clinicienne en terrainhospitalier. Pendant plus de vingt ans, dans le service de néphrologie del’hôpital des Enfants-Malades, elle s’est occupée de nombreux enfants condamnésà mourir ou traités pour des maladies incurables de très longue durée. Elle a écouté et recueilli les angoisses et les souffrances des enfants et des familles. De cette expérience extrême, elle a tiré un livre terrible, L’Enfant et la Mort, paru en 1975.

Après un ouvrage écrit en collaboration avec CarolineEliacheff (1), où elle montre à travers de nombreux exemples à quel pointl’anorexie mentale se rapproche d’une tentative quasi mystique de mettre à mortla chair et le corps, elle explore dans Lorsque l’enfant disparaît l’itinérairepsychique de différents parents endeuillés par la perte d’un enfant.

Depuisla réflexion inaugurale de Philippe Ariès sur l’enfant dans l’Ancien Régimejusqu’aux travaux d’Elisabeth Badinter sur l’amour maternel (2), on sait que laplace accordée à l’enfant dans la famille est variable selon les sociétés, etsurtout qu’elle s’est modifiée de façon considérable à partir du XIXe siècle,avec le règne des idéaux de la bourgeoisie, qui mettent à l’honneur unereprésentation de la femme centrée sur le culte de la maternité. C’est à cetteépoque que finit de s’imposer une vision rousseauiste de l’enfance et quel’enfant devient l’objet d’un attachement spécifique qui ne fera que croître aufur et à mesure des progrès de la médecine, puis de l’instauration généraliséede la contraception dans les sociétés industrielles.

Il semble aller de soi queplus est diminué le taux de la mortalité infantile, plus est douloureuse laperte d’un enfant. De même, plus l’enfant est consciemment désiré ou programmé,plus sa place est censée devenir importante dans l’affect parental.

HUGO,MAHlER, FREUD...

Pourtant,les choses ne sont pas si simples, et l’on sait bien aussi, comme l’a montréMelanie Klein pour le XXe siècle, que ce fameux amour maternel peut facilementse muer en un désir de mort à l’égard de l’enfant. Dans sa préface, GinetteRaimbault évoque cette double question de la place de l’enfant dans la famillemoderne et du désir de mort à son égard.

Mais son livre est consacré à des casde morts d’enfants qui se situent toutes au XIXe (à partir de 1824) et au XXesiècle : des morts accidentelles ou des morts par maladie. Elles affectenttantôt un père, tantôt une mère, tantôt le couple lui-même : Victor Hugo,Gustav et Alma Mahler, Rosamond Lehmann, Stephane Mallarmé, Isadora Duncan,Sigmund Freud et bien d’autres encore ont traversé cette épreuve.

Chaquefois la douleur est la même, et chaque fois le travail de deuil débouche sur denouveaux investissements intellectuels, religieux ou militants qui en portentla trace.

Vingt ans après la mort de son fils Leopold, Hugo ne se remet pas decelle de sa fille Léopoldine, et il écrit son poème A Villequier : « Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre / Et dire à mon enfant : Sens-tuque je suis là ? / Laissez-moi lui parler incliné sur ses restes (...) ». AGuernesey, il s’adonnera au spiritisme pour entrer en contact avec l’esprit desmorts.

Après la mort de son fils, Mallarmé construit pour lui son Tombeaud’Anatole : « Lui si beau, enfant et que l’effroi farouche de mort tombe surlui (...) ». Quant à Isadora Duncan, elle écrit ces mots : « La période la plusterrible d’un grand chagrin n’est pas le début (...) mais c’est plus tard,quand les gens disent : Elle a surmonté sa peine, elle a gagné la partie,alors que la vue de n’importe quel petit enfant qui entrait dans la pièce enappelantmaman`` me poignardait le coeur. »

L’undes témoignages les plus bouleversants est celui de Sigmund Freud, qui perdsuccessivement sa fille Sophie en 1920 (épidémie de grippe) et, trois ans plustard, le fils de celle-ci (Heinz, surnommé « Heinerle »), âgé de quatre ans(tuberculose miliaire). Sa réaction montre que, malgré sa lucidité, le grandthéoricien de la pulsion de mort, du deuil et de la sexualité infantile n’estpas mieux armé que les autres parents pour affronter cette double perte : « Ilest vrai, j’ai perdu une fille chérie âgée de vingt-sept ans, mais je l’aisupporté étrangement bien. C’était en 1920, on était usé par la misère de laguerre, préparé depuis des années à apprendre que l’on avait perdu un fils, oumême trois fils. La soumission au destin était ainsi préparée (...). Depuis lamort de Heinerle, je n’aime plus mes petits-enfants et je ne me réjouis plus dela vie. »

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