Entretien de Pierre Fédida et Roland Gori sur le SIUERPP par Dominique Cupa

Entretien de Pierre Fédida et Roland Gori sur le SIUERPP par
Dominique Cupa
Pouvez-vous me dire ce qu’est le SIUERPP ?
P. Fedida
Pour moi, le SIUERPP (Séminaire-Inter Universitaire Européen de Recherche en
Psychopathologie et Psychanalyse) est d’abord une réunion régulière d’enseignantschercheurs
dont l’ambition est de réfléchir ensemble à une prospective des objets et des
modèles en psychanalyse et en psychopathologie. Il faut donc partager une communauté
de valeurs, initiée depuis une trentaine d’années par l’enseignement de la psychanalyse à
l’Université. La nécessité de ce "séminaire" s’est imposée parce que la tentation
individualiste de chacun tournait le dos à la nécessité actuelle d’un travail en équipes et
d’échanges constants en réseaux. Nous n’en sommes qu’au début et la tâche immédiate est
celle de l’organisation pratique. Au cours de ces toute-dernières années, nous nous
sommes aperçus que si nous ne faisions rien, la psychanalyse et la psychopathologie
étaient bel et bien menacées de disparaître de l’université.
Et toi Roland qu’en penses-tu ? et d’abord quelles sont les origines
du SIUERPP ?
Les origines du SIUERPP sont surdéterminées bien évidemment. L’initiative en revient à
Pierre Fédida qui, sous son autorité, a invité un certain nombre de collègues
psychanalystes enseignant la psychopathologie à l’Université dans les départements de
psychologie à se regrouper pour réfléchir ensemble à développer nos capacités de
recherche et d’enseignement, comme à soutenir les équipes de recherche en
psychopathologie par leur insertion dans un réseau scientifique. Notre amitié nous avait
permis au Conseil National des Universités (CNU), comme à Paris 7 et à Aix-Marseille 1, de
travailler ensemble à plusieurs reprises à réfléchir à optimaliser les conditions de
réalisation des recherches et des enseignements de Psychopathologie à l’Université, à
définir davantage et à préciser les critères spécifiques d’évaluation scientifique des équipes
et des enseignants-chercheurs en Psychopathologie et Psychanalyse lorsque nous nous
trouvions invités à de telles missions, à préciser et à définir davantage les critères
d’évaluation des thèses et des HDR, à favoriser un développement non anarchique de nos
supports de publication, leur reconnaissance communautaire, sans céder sur les exigences
de notre spécificité analytique comme sur celles de l’Université. L’amitié et le dévouement
d’André Sirota, de Mareike Wolf et de bien d’autres collègues que nous ne pouvons tous
citer a fait le reste.
Le SIUERPP est donc une instance collégiale qui rassemble près d’une centaine
d’enseignants-chercheurs européens en psychopathologie clinique et en psychanalyse. La
plupart des collègues du SIUERPP ont des fonctions de directions de recherches et
enseignent dans le cadre de la psychologie (16e section du CNU en France). Cette instance
se réunit régulièrement depuis plus de deux ans. Elle a organisé des journées doctorales (à
Nice, à Bordeaux et la prochaine aura lieu à Aix le 30 novembre 2002) et un colloque (en
juillet dernier à Paris 7). Les collègues universitaires du SIUERPP représentent la grande
majorité des enseignants-chercheurs de Psychologie clinique, de psychopathologie et de
psychanalyse en France, et sans nul doute partagent les mêmes valeurs avec leurs collègues
psychologues cliniciens oeuvrant dans les divers champs professionnels. Le SIUERPP a été
créé avec l’objectif de soutenir le développement de la psychanalyse et de la
psychopathologie dans les champs de recherches et d’enseignements qui en appellent le
concours. De ce fait cette instance se dote des moyens et des conditions à même :
1. d’une part, de créer et de garantir les conditions d’une réflexion épistémologique et
éthique sur l’utilisation du paradigme de la psychanalyse dans les recherches et les
enseignements de psychologie et de psychopathologie clinique
2. d’autre part, de faire connaître et de promouvoir les critères pertinents et distinctifs
de cette épistémologie et de cette éthique auprès des autres collègues des autres
sous-disciplines de la psychologie et des autres disciplines du champ de la santé, des
étudiants et du public. A cette fin, le SIUERPP a constitué un observatoire de la
recherche en France et bientôt en Europe pour la psychopathologie et la
psychanalyse. Notre action a déjà eu un retentissement assez important sur les
doctorants de nos équipes de recherche qui ont échangé, débattu de leurs travaux et
ont commencé à travailler en "lançant" une association Junior (AEJCPP, association
Européenne des Jeunes Chercheurs en Psychopathologie et Psychanalyse).
Nos références théorico-cliniques sont plurielles et "ouvertes". Le succès du SIUERPP,
tient au climat de confiance, de respect et d’amitié dans lequel se déroulent nos journées
de travail. Les comportements sectaires ou individualistes nous ont coûté très chers dans le
passé et ont permis à d’autres de tirer profit de nos divisions.
Il nous faut poursuivre le travail accompli depuis 30 ans :
1. témoigner de notre aptitude à réviser les conditions d’un travail psychanalytique en
réponse à de nouvelles demandes de société ou à des situations cliniques extrêmes,
c’est-à-dire à nous "ajuster", dans tous les sens du mot "juste", à nous renouveler
sans "trahir" l’essence de la psychanalyse.
2. parvenir à reconnaître et à faire reconnaître notre spécificité au sein même de la
communauté universitaire, de ses usages, de ses coutumes et de ses exigences. Bref,
parvenir à ne céder ni sur les exigences de l’Université, ni sur celles de la
psychanalyse. Etre sans concessions, cela suppose beaucoup d’"amitié" (au sens
derridien) avec les psychanalystes et les universitaires. Et puis du travail, beaucoup
de travail pour nous et pour ceux qui nous suivront.
Il y a une menace de " disparition de la psychanalyse à l’Université "
d’après Pierre Fédida, qu’en penses-tu ?
Cela me paraît évident, le SIUERPP s’est également constitué pour parer à cette menace
qui n’est pas une résistance à la psychanalyse comme une autre mais une résistance qui
participe d’un processus de destitution de la parole et de l’humain, un processus de
"déshumain" comme dirait peut-être Pierre Fédida. La neurobiologie s’est transformée en
neurozoologie puisque, comme on le sait bios renvoyait pour les Anciens au vivant
porteur d’un sens et zoos au vivant animalisé, déshumanisé. Il y a dans notre culture une
menace considérable de renouer avec les vieux démons "réductionnistes" de la
"physiologie mentale" du XIXe siècle et l’éviction de l’apport freudien mais pas seulement,
de l’accueil dans la culture des valeurs éthiques et ontologiques de la souffrance et du
soin. Il faut relire les textes de Foucault en particulier ses leçons au Collège de France "Les
anormaux" pour prendre la mesure des menaces actuelles de ce "totalitarisme rampant" du
scientisme qui est à la science ce que la superstition est à la religion ! Mais laissons de côté
pour l’heure cette critique des discours idéologiques actuels que plusieurs d’entre nous ont
déjà réalisée. Et puis il conviendrait aussi pour ne pas sombrer dans la mélancolie
défaitiste de se rappeler cette phrase d’Höderlin si souvent citée par Heidegger : "Là où
croît le danger naît aussi ce qui sauve". Le Centre d’Etudes du Vivant créé par Pierre
Fédida, de nombreuses autres initiatives, celles que plusieurs d’entre nous favorisons en
Province montrent cette nécessité éthique d’un dialogue avec les "médecins et les
savants" (pour reprendre l’expression de Freud).
À l’Université, plus précisément en psychopathologie, le risque provient de
l’homogénéisation et de la secondarisation (au sens de l’enseignement du second
degré) des enseignements et du risque que font courir des instances (voire des individus)
promptes à transformer la formation des psychopathologues en apprentissage technique
(qui est une dégradation de la transmission des pratiques) et scolaire (bachotage imposé
par des faiseurs de manuels). La place des stages cliniques, des élaborations théoricocliniques
de l’expérience qu’elle requiert, se trouve réduite à une portion congrue au profit
de l’enseignement "magistral", bien souvent "livresque", et à une évaluation très
standardisée des connaissances. Les modèles actuels d’évaluation des enseignements
comme des recherches sont appauvrissants. Cette mode idéologique risque de
compromettre, à terme, la place de la psychopathologie et de la psychanalyse à l’Université
dans la formation des praticiens du soin et de l’éducation. Allons-nous former des
médecins non-cliniciens façonnés par la prévalence du site du laboratoire sur le site
hospitalier et des psychologues cliniciens sans pratique ?
Le travail que nous avons commencé à faire au SIUERPP s’inscrit dans cette nécessité de
ne pas réduire la souffrance humaine à un "désordre" (Disorders du DSM), à un déficit
moléculaire, à une tare génétique, mais de prendre en considération ses valeurs
ontologiques et éthiques. C’est-à-dire de devoir inscrire la psychopathologie dans cette
"connaissance tragique" nietzschéenne, dans ce "pathei-mathos" d’Eschyle, faute de quoi
ce n’est pas seulement la psychanalyse qui serait menacée de disparition mais toute une
culture de l’humain.
Pierre, pourquoi avez-vous évoqué une menace de disparition de la
psychanalyse à l’Université ?
J’ai évoqué cette menace parce que les conditions d’application des critères scientificoacadémiques
contraignent souvent l’exercice d’un enseignement de la psychanalyse à
l’Université. Mais ne perdons pas de vue que, dans l’ensemble, les étudiants viennent
nombreux et avec grand intérêt vers cet enseignement ainsi que vers la recherche en
psychopathologie et psychanalyse. N’oublions pas non plus qu’un grand respect existe de la
part de nos collègues scientifiques : dans l’ensemble, ils soutiennent la psychanalyse à
l’université bien qu’ils ne comprennent pas toujours - et je le conçois ! - les enjeux de nos
débats et de nos polémiques.
Je crois donc qu’il faut sortir d’un catastrophisme qui annonce régulièrement des risques
de disparition. Il ne faut pas aller dans le sens des sensibilités anti-scientifiques.
Par contre, il nous faut renforcer le travail en équipes et apprendre à évaluer la prospective
des changements. Quels seront nos objets à venir ? Comment aussi renforcer la lecture
critique de nos héritages.
Bref, j’encourage mes jeunes collègues à tirer mieux profit de leur expérience
psychanalytique et clinique et de leur appartenance à l’Université.
Pierre, qu’entendez-vous par " enseignement de la psychanalyse à
l’Université " ? Au sein du SIUERPP nous avons des conceptions
différentes, ce qui montre notre ouverture. Vous savez que pour moi
et d’autres, il s’agit de proposer à nos étudiants un enseignement de
psychopathologie psychanalytique. Nous réservons le terme
" enseignement de la psychanalyse " pour les Instituts ou
Associations de psychanalyse craignant en particulier que l’étudiant
formé à l’Université se prenne pour un psychanalyste sans pour
autant avoir suivi une analyse personnelle et fait des cures sous
supervision. Je tiens à rappeler qu’en 1922, Freud définit ainsi la
psychanalyse : " La psychanalyse est le nom : d’un procédé pour
l’investigation de processus mentaux à peu près inaccessibles
autrement, d’une méthode fondée sur cette investigation pour le
traitement des désordres névrotiques, d’une série de conceptions
psychologiques acquises par ce moyen et s’accroissant ensemble
pour former progressivement une nouvelle discipline scientifique. "
A l’Université nous n’enseignons que la métapsychologie comme dit
M. Bertrand.
Je reste fidèle à l’entreprise que nous avons engagée en 197O avec Jean Laplanche .On sait
le rayonnement qu’a eu cette expérience en France et à l’étranger. C’était pour nous
d’abord et avant tout la lecture des textes psychanalytiques (Freud d’abord mais pas
exclusivement) auprès des étudiants. Cet enseignement fait par des psychanalystes
(universitaires ou non) exigeait des mises en perspective historiques, une pensée
épistémologique et critique, une prise de témoignage sur les pratiques cliniques et
techniques. Je soutiendrais encore aujourd’hui cette approche extrêmement formatrice - à
l’opposé de tout dogmatisme et de l’esprit d’endoctrinement. En dehors des textes, les
enseignements magistraux ont intérêt à traiter de grandes questions qui concernent aussi
bien la psychologie que les sciences du vivant et la médecine.
Mais je veux rappeler que si j’ai toujours défendu l’enseignement de la psychopathologie
(générale, clinique et fondamentale) c’est parce que c’est dans ce champ que l’on voit le
mieux la spécificité de l’approche psychanalytique et des possibilités de confrontation
féconde avec d’autres approches (phénoménologique, pharmacologique, biologique). La
psychopathologie doit rester le point de départ d’un enseignement formateur pour les
cliniciens (psychologues et psychiatres).
Je veux ajouter que la chance immense de la psychanalyse à l’Université, c’est celle de
rendre possibles des collaborations entre analystes appartenant à diverses écoles. C’est
aussi de se développer au contact des diverses spécialités tant littéraires et philosophiques,
anthropologiques, historiques que scientifiques et médicales. Dans l’histoire du
mouvement psychanalytique, on doit tenir compte de cette chance exceptionnelle.
Et toi Roland quel est ton idée ?
Pour répondre à cette question je reprendrais volontiers la logique du discours de Freud
dans son article de 1919, si souvent cité, "Doit-on enseigner la psychanalyse à
l’Université ?" Cet article a été publié en langue hongroise, à la veille de la création de la
première chaire de psychanalyse et de la nomination de Ferenczi comme professeur de
psychanalyse à Budapest. Freud situe la question de l’opportunité de l’enseignement de la
psychanalyse dans les universités de deux points de vue, celui de la psychanalyse et celui
de l’Université. Je procèderai de même en réactualisant à ma manière les réponses qu’on
peut apporter.
Du point de vue de la psychanalyse. La plupart des groupes et sociétés de
psychanalystes (et non de psychanalyse comme on se plait parfois à le dire) considèrent
que la formation du psychanalyste peut tout à fait et sans préjudice se passer de
l’Université. Quand bien même on s’éloigne des slogans qui opposaient le discours
universitaire au discours analytique cette position a tendance à se maintenir et ce, malgré
quelques initiatives consistant à explorer les possibilités d’articuler la recherche
psychanalytique à l’intérieur des sociétés et les recherches universitaires. C’est déjà un
progrès, sauf bien évidemment si l’opération de rapprochement par la recherche et
dans la recherche entre les deux positions épistémiques devaient conduire à accoupler
les figures les plus grotesques de chacune en produisant les chimères d’une
métapsychologie informée par les cognitivismes et la neurozoologie des comportements.
Mais je crois qu’au-delà de la recherche du point de vue de la psychanalyse
l’enseignement de la psychanalyse à l’Université peut être l’occasion de faire l’expérience
de la laïcité du discours psychanalytique : à distance des pré-jugés et des présupposés
des groupes et des communautés, du secteur réservé du transfert" (C. Stein), les
psychanalystes peuvent confronter leurs expériences cliniques, théoriques et de
recherches.
Et puis on ne peut pas non plus passer sous silence les "services" (pour reprendre le terme
de Didier Anzieu dans une autre direction) que la psychologie et les sciences humaines ont
rendu à la psychanalyse pour la diffuser dans la culture et la transmettre au sein des
pratiques de soin et d’éducation. Mais plus essentiellement, selon moi, l’enseignement à
l’Université par un psychanalyste participe encore et malgré parfois la "barbarie"
institutionnelle actuelle, de sa pratique, de sa pratique de la psychanalyse en le plaçant face
à un public "laïc" dans une position d’analysant. C’est d’ailleurs en quoi un enseignement
de la psychanalyse par un psychanalyste pourrait se différencier des enseignements de la
psychanalyse effectués par d’autres(philosophes,psychologues).
Du point de vue de l’Université. Le propos de Freud reste toujours d’actualité :
l’enseignement de la psychanalyse à l’Université concerne "la formation des médecins et
des savants", auxquels on peut ajouter les psychologues. Freud propose la distinction bien
connue des enseignements sur la psychanalyse et des enseignements de - en
provenance de - la psychanalyse. A l’évidence les disciplines littéraires, historiques,
philosophiques, artistiques et biologiques peuvent se satisfaire de ce type d’enseignement
sur la psychanalyse. Par contre en ce qui concerne la formation universitaire des
praticiens de la santé et de l’éducation les bénéfices qu’ils pourraient tirer de
l’enseignement de la psychanalyse ne sauraient se déduire d’autre chose que d’un
enseignement en provenance de la psychanalyse. C’est-à-dire que pour ces praticiens
l’enseignement de la psychanalyse doit fournir les occasions propices à éprouver la
psychanalyse conçue comme mise en acte d’une méthode dans une pratique. A
l’évidence cela veut dire que l’Université doit trouver des occasions d’analyser, par
exemple, les effets des rencontres cliniques des praticiens en formation sur leur
manière de répondre à la demande du patient. Cela peut concerner tout aussi bien les
psychologues, les psychiatres que les médecins ou les soignants.
Roland, que veux-tu dire lorsque tu avances : " L’enseignement à
l’Université par un psychanalyste participe encore de sa pratique,
de sa pratique de la psychanalyse en le plaçant face à un public
"laïc" dans une position d’analysant. " ?
L’histoire du mouvement psychanalytique comme l’actuel de notre pratique le montrent :
on ne parle jamais impunément de psychanalyse et encore moins de pratiques
psychanalytiques. On en parle presque toujours, analysants et analystes, en référence à nos
résistances et à nos transferts. C’est-à-dire que nos enseignements comme nos travaux de
recherche sont, par rapport aux séances de psychanalyse qui les induisent, dans un rapport
analogue aux relations entre le rêve et les commentaires du rêve : ils en font partie.
Seulement, comme nul d’entre nous n’a un rapport immédiat à son inconscient, il faut bien
qu’après- coup nous trouvions l’occasion de poursuivre cette analyse " au-delà du temps
des séances " (C. Stein). Celui qui enseigne à partir de sa clinique s’expose à son insu à
devoir recueillir les traces de son expérience à partir de ce qu’il en dit. A ce titre, face à un
public " laïc ", il se trouve en position d’analysant. Ça, on peut espérer qu’un psychanalyste
le sait : il n’y a pas de maîtrise et d’accès direct à l’inconscient. Cette position éthique et
méthodologique à la fois garantit une transmission authentiquement freudienne de
la méthode : l’analyse est toujours analyse de celui qui dit et l’analyste, mieux qu’un autre,
sait qu’il ne peut être que lui-même en ses paroles. Notre pratique clinique, au moins
virtuellement, potentiellement, nous convoque à cette place éthique et méthodologique
dans nos paroles d’enseignant. La psychanalyse n’est pas un vocabulaire, une conception
du monde, une technique, c’est d’abord une méthode. Et une méthode qui traite (dans tous
les sens du terme) les discours de souffrance. De cela, un enseignant-chercheurpsychanalyste
peut témoigner dans l’acte de son enseignement.
La recherche en psychanalyse à l’Université comment vois-tu cela,
sachant que nos étudiants, nos thésards ne sont pas encore
psychanalystes ?
Je reste convaincu qu’une pratique sans recherche est aveugle et qu’une recherche sans
pratique est vide.Alors la question majeure dans la recherche universitaire en
psychopathologie et en psychanalyse c’est : comment articuler les exigences
méthodologiques de la psychanalyse et les exigences institutionnelles et sociales de
l’Université ? Le SIUERPP a, de mon point de vue, une priorité dans sa vocation à élaborer
une véritable charte de la recherche. Comment le faire si ce n’est en partant de ce qui existe
déjà et en mettant en relief les points critiques à l’interface psychanalyse-université. C’est
la raison pour laquelle nous avons dressé un inventaire des travaux à mener et une
cartographie des équipes de recherches. L’annuaire des membres du SIUERPP, établi par
Mareike Wolf relayée depuis cette année par Alain Ducousso-Lacaze, constitue un bon
observatoire des équipes de recherches, de leurs forces respectives, de leur composition, de
leurs thèmes prioritaires. On pourra ainsi conseiller les futurs doctorants et les jeunes
collègues soucieux d’entreprendre ou de poursuivre une recherche à partir de ce " guide de
la recherche en psychopathologie et psychanalyse ".
Ensuite nous avons créé les commissions suivantes en fonction des priorités :
• Jeunes Chercheurs et organisation des journées doctorales : Alain ABELHAUSER
• Relation avec les professionnels du champ sanitaire et social : Michèle BERTRAND
• Relations avec les sous-disciplines de la psychologie et les sciences affines :
Christian HOFFMANN
• Recherche universitaire et relation avec les équipes de recherche : Jean-Jacques
RASSIAL
• Publications et diffusion : Marie-Jean Sauret
• Relations Internationales : Mareike WOLF-FEDIDA
L’avancée de leurs travaux est variable de l’une à l’autre. André Sirota, secrétaire général
du SIUERPP, assure avec une exceptionnelle efficacité la coordination et la transmission
de l’ensemble des activités du Séminaire. François Marty, trésorier, veille scrupuleusement
au fonctionnement logistique de notre association.
Les priorités sont incontestablement de nous informer, de communiquer, de débattre, puis
de faire connaître à l’extérieurnos positions comme nos questions. Puis-je, sans malice et
insolence, rappeler que nous sommes parfois aussi nombreux sinon plus qu’une assemblée
générale de psychologues votant pour ou contre la Fédération européenne de toutes les
organisations de psychologues ?
Nous avons à nous déterminer à brève échéance sur un certain nombre de problèmes
cruciaux : les supports de publication qualifiants en psychopathologie, les critères
d’évaluation des thèses et des HDR, les critères d’évaluation, de composition et de
regroupement des équipes de recherche, l’organisation des masters, le statut de
psychothérapeute, etc.
Les doctorants et leur organisation
Nous avons beaucoup plus de doctorants que dans les autres sous-disciplines de la
psychologie mais rien ne garantit que nous avons les moyens de bien les aider à mener à
terme leurs travaux de DEA, de thèse ou d’HDR. Il faut oser le dire, nous avons à réfléchir
avec nos doctorants à optimaliser les moyens dont nous disposons pour les accompagner
dans leur formation de et à la recherche. Cela est d’autant plus important que nombre de
nos doctorants sont par ailleurs des praticiens, et pour certains des praticiens chevronnés.
C’est-à-dire une population étudiante plus âgée, plus expérimentée, plus exigeante aussi,
davantage à distance de l’Université, qui ne peut pas être traitée de la même manière que
les jeunes doctorants des autres disciplines. Les journées doctorales que nous organisons
ont déjà pour vocation d’amener les doctorants à se rencontrer, à se connaître, à échanger
et à débattre. Ces journées ont été un grand succès, tant par le nombre de participants
(plus de 120 à Nice) que par la qualité des communications. C’est un début, il nous faut
continuer le débat.
Les doctorants ont rapidement compris les enjeux épistémologiques et institutionnels des
politiques de recherche en matière de psychopathologie et psychanalyse. Plus exposés que
leurs aînés aux critères d’expertise de la recherche (CNU, Ministère, etc.), ils ont compris
la nécessité d’inventer l’avenir en tirant les leçons du passé : " Rassemblons-nous à partir
de ce qui nous divise et ne nous divisons plus à partir de ce qui nous rassemble. " Ils ont
créé l’Association Européenne des Jeunes Chercheurs en Psychopathologie et Psychanalyse
(AEJCPP) qui va devenir certainement membre associé du SIUERPP et poursuivre en
synergie avec nous sa réflexion.
Nombreux sont aussi les membres de cette jeune association, l’AEJCPP, qui ont compris le
rôle fondamental qu’ils peuvent jouer auprès des étudiants des masters (maîtrise et DESS)
en les aidant à trouver des lieux de stages cliniques et en assurant auprès d’eux une
fonction authentique de transmission de l’esprit de recherche en psychopathologie et
psychanalyse. Nous méritons peut-être notre héritage puisque les fils en assurent déjà la
transmission.
Mais cette transmission a une particularité dans notre domaine, particularité à nulle autre
pareille, particularité qui fait tout à la fois notre force et notre faiblesse : nous l’avons
apprise au cour d’une rencontre avec la souffrance, la nôtre comme celle d’autrui. Pierre
Fédida parlait, il y a vingt ans déjà, de ce pathei mathos d’Eschyle, de cette connaissance
par la souffrance - et j’ajouterai la passion - hors de laquelle la psychopathologie devient
déficitaire, doublement déficitaire.


Notre travail a été interrompu par la mort de P. Fédida. Il tenait beaucoup à cet
entretien qui présente le SIUERPP qu’il a inventé et construit avec Roland Gori,
Mareike Wolf, André Sirota et bien d’autres de ces amis qui, aujourd’hui, souffrent de
sa disparition. Voici en forme de conclusion, le mail que R.Gori et A. Sirota ont
adressé aux membres du SIUERPP, à Mareike Wolf son épouse et à ses enfants, au
lendemain de sa mort :
Chers amis,
Nous connaissons tous maintenant la bien triste nouvelle :
notre ami Pierre Fédida vient de mourir.
C’est une immense perte pour nous, pour notre séminaire
qu’il avait fondé et présidé, pour l’Université, pour la psychanalyse
et pour la culture humaniste.
Pierre était un grand intellectuel, érudit, brillant et généreux.
Universitaire exceptionnel, ses conférences et ses recherches
donnaient à chacun d’entre nous le goût et l’envie de penser.
Pierre était un psychanalyste internationalement reconnu
et ouvert à la disputatio des théories et des pratiques.
C’était un homme de don dans tous les sens du terme
et nous lui devons beaucoup. Sa présence, sa voix, son style
et son affection ouvraient les chemins du coeur et de l’esprit.
Le dimanche 1er décembre à Aix-en-Provence,
nous réfléchirons tous ensemble aux manifestations en son hommage.
À Mareike et à ses enfants, nous adressons au nom du Séminaire nos condoléances et nos
affectueuses pensées.
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