Un territoire psychologique à côté du territoire médical

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Un paradigme dépassé, à lire absolument l’éditob de Jacques Borgy [->http://www.psychologuesenresistance.org/spip.php?article678]

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"Mais j’avais pour ma part le sentiment d’une urgence pour la profession de psychologue si elle n’entend pas se résigner au cadre d’extinction dans lequel il me semble qu’elle est progressivement placée à l’hôpital. "Denys ROBILIARD Député de Loir-et-Cher Assemblée nationale.

Reformulé autrement : comment faire peur aux psychologues pourtant bien implantés dans les institutions de santé et assurant un vrai service de soins psychiques dans l’ombre de la médecine ? Leur faire entrevoir une extinction de la profession, ne serait-ce pas là, une stratégie pour déclencher la peur pour une future médicalisation et inscription dans le code la santé comme "profession intermédiaire" ?

Ce constat, fait par ce député chargé de la préparation de la loi Santé contient en filigrane toute la problématique des psychologues et sans doute bien au-delà des psychologues, la problématique de la société autour de la question de ce qui touche au mal être, à la souffrance humaine et psychologique de nos concitoyens.

Une réflexion autour d’un nouveau paradigme de la santé.
Pourquoi cela ? Le système de santé français, comme le rappelle la CGT, dans sa contribution à la table ronde du 2 septembre 2015, fait "le constat d’une conception de la santé en France complètement centrée sur le médical, en contradiction avec la définition donnée par l’OMS dès 1946, inscrite en préambule de sa constitution adoptée par 61 états dont la France. Cette conception séculaire française du tout médical trouve aujourd’hui ses limites dans la prise en charge de nombreux usagers".
Cette conception très centrée sur le médical et le biologique, concrétisée avec l’édification d’actes mis en protocoles, édictés par la HAS, exclut de facto les praticiens d’une approche plus globale de la santé, non médicale. En France, cette approche médico centrée s’est tellement recroquevillée sur elle-même qu’elle a rejeté ceux, qui parmi les médecins psychiatres s’étaient engagés dans la riche aventure de la psychothérapie institutionnelle et d’une approche humaniste basée sur la parole et le savoir des sujets et leur souffrance. Les soins par le packing et l’engagement d’un psychiatre dans cette démarche soignante ont été interdit par la HAS.
Tout cela semble illustrer " la crise de l’objet conceptuel de la psychiatrie dont rien ne peut la tirer car aucun paradigme ne peut prétendre réorganiser la clinique psychiatrique". A Golse (recherche Mire 22/2002)
Ses travaux pointent la transformation de l’objet conceptuel de la psychiatrie. Celle-ci est entrée dans une crise autour de la notion de maladie mentale dont la pertinence clinique a disparu.
Cette crise a certainement participé à l’esprit de fermeture d’une médecine construite avec des œillères à cette partie moins biologique qui concerne l’humain : le psychique, le psychologique, le social. Cela n’enlève rien à la qualité des recherches menées sur le cerveau, en neurologie ou en neuroscience par cette même médecine. On voit bien là une médecine qui fonctionne dans une tour d’ivoire rejetant à sa frontière, des approches qui s’appuient sur une conception plus large de l’état de santé.
Et cette médecine occulte bien sûr, le lien indissociable entre le corps et l’âme dont la philosophie, la littérature psychanalytique en particulier et la psychologie nous parlent.
La CGT, en reprenant une idée largement répandue, propose une nouvelle définition de la santé à cette conception séculaire française : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité… ».
Il s’agit bien de valider un nouveau paradigme de la santé en y formalisant la notion de réalité psychique qui institue un nouveau territoire à côté du territoire médical.

Le rôle du psychologue vécu par la médecine.

Le constat que fait D Robillard semble appeler les psychologues à se mobiliser pour se situer plus clairement et trouver une place cohérente dans ce monde de la santé. Il lie cela à un problème qu’il doit résoudre, c’est apparemment la démographie décroissante des psychiatres. Pourquoi fait-il ce lien ?
Il semblerait que le nombre de psychiatres ne soit pas en diminution mais c’est bien le nombre des psychologues qui a explosé. Alors la question est, en l’occurrence pour la DGOS, que faire de ces psychologues qui ne sont pas inscrits dans le code de la santé comme professions de santé ? Ainsi pour résoudre le problème de la place des psychologues à l’hôpital, on invoque une fausse idée, celle de la diminution du nombre de psychiatres (le plus élevé dans les pays d’Europe ) en proposant d’inclure les psychologues dans ce territoire médical en les para médicalisant pour pallier ce déficit de psychiatres et pour satisfaire l’académie de médecine et l’ordre des médecins qui considèrent que les activités psychopathologiques et psychothérapiques relèvent du domaine médical. Mais en réalisant cela, la médecine opère une amputation incompréhensible de l’objet," souffrance humaine "et le réduit à une activité biologique susceptible d’être soignée par des médicaments uniquement ou par des approches d’éducation thérapeutique, de rééducation comme celles qui sont préconisées dans l’autisme. La suppression en 2009, de la loi HPST, d’une mission de l’hôpital, "prendre en compte les aspects psychologiques du patient "complète le tableau du désastre pour les patients et démontre une fermeture d’esprit de la médecine sur les recherches potentielles du lien corps-esprit et les facteurs générant la maladie. Notre médecine officielle serait-elle atteinte du syndrome de Procuste ?

En réalité, le problème de fond, c’est que les psychologues ont été convoqués par la médecine pour assurer des nouvelles tâches (traiter la souffrance psychique, assurer les psychothérapies, l’analyse clinique dans les équipes de soins), tâches que les psychiatres pour un grand nombre ne pouvaient pas ou plus assumer mais aussi parce que cela ne faisait pas partie de leurs prérogatives. Un premier lien basique, sur lequel D Robillard se tait, est que l’activité d’écoute (psychothérapies, réflexion clinique) qu’est ce nouvel objet apparu en psychiatrie," la souffrance humaine" dont parle A Golse (recherche Mire 22/2002) et les besoins qui en ont découlé ont bien été pris en compte par la médecine, mais uniquement par une sous-traitance aux psychologues, assimilant psychologique et médical.
Ainsi la médecine n’a pas recruté des psychiatres mais a recruté des psychologues dont les activités, dont ils sont reconnus responsables dans un décret (91) sont comptabilisés en actes médicaux pour être financés par la sécurité sociale. Cela génère une ambiguïté sur l’activité des psychologues et laisse croire que les psychologues sont et pourraient être médicalisés dans le code la santé pour rendre cohérente la nouvelle gestion financière. En réalité ils officient comme “nègre” (au sens littéraire) des psychiatres hospitaliers et leur activité vient abonder l’activité médicale comme si elle était prescrite. Vu sous cet angle, il est logique, que puisque l’activité des psychologues est assimilée à une activité médicale, la médecine veuille imposer ses règles aux psychologues , en récupérer les bénéfices et aliéner le psychologique au médical.
Nous sommes donc bien en face d’une possible extinction de la profession de psychologue si celle-ci ne rentre pas dans le cadre de la gestion financière de l’hôpital.
Seulement les psychologues ont développé leur activité clinique selon leurs méthodes, leurs outils pour des missions inscrites dans un décret "en étudiant et en traitant les rapports réciproques entre la vie psychique et les comportements individuels et collectifs afin de promouvoir l’autonomie de la personnalité". 

La souffrance humaine, devenue le nouvel objet de la psychiatrie : le cœur de l’exercice et du métier de psychologue.

Les psychiatres formés aux sciences de la vie n’ont pas la même fonction que les psychologues formés aux sciences humaines car les citoyens sollicitent ces psychologues pour d’autres besoins notamment pour les écouter, ils ont une vraie place dans les institutions de soins. Utiliser les psychologues, pourquoi pas. Mais pas à n’importe quel prix, et à n’importe quelle place et surtout pas en devenant une "profession intermédiaire" comme le souligne de façon pertinente SUD Santé et comme le voudrait la DGOS. Devenir des auxiliaires médicaux au service d’une psychiatrie médicalisée serait une régression coûteuse pour la société et néfaste pour les citoyens.
Non compatible avec la logique médicale biologisante et ayant développé leur activité en se centrant justement sur ce nouvel objet que la psychiatrie leur a sous-traité, le métier de psychologue et son devenir requiert une émancipation et doit se séparer de cette dépendance et de cette ambigüité historique.

Pourquoi pas cette idée d’inscrire les psychologues dans un code de la santé revisité puisqu’ils exercent déjà sur le territoire de la santé ? Il suffirait de reconnaitre le changement de paradigme qu’évoque A Golse dans la recherche Mire, n° 22/2002 ; qui institue un nouvel objet conceptuel en remplacement de l’objet conceptuel de la psychiatrie, la maladie mentale : la souffrance humaine dans le droit fil de la voie anthropologique ouverte par la psychopathologie.
La proposition de l’inter collège des psychologues parait offrir un socle à ce nouvel horizon :"
C’est dans cet esprit qu’il nous semblerait souhaitable que puisse se continuer le travail d’élucidation et d’élaboration que vous avez favorisé en mettant, avec votre aide, une cellule de recherche en place. Celle-ci pourrait être l’occasion de rappeler et de poser explicitement ce qui fonde notre approche clinique et selon quelles modalités la profession peut être concernée par la santé. Et l’inter collège ajoute le travail une fois accompli pourrait constituer le socle nécessaire à la reconquête des approches plurielles de la folie."

L’UNSA auquel s’associe le SIUEERPP, contributeur essentiel dans la recherche et la formation en psychopathologie sont aux fondements de ce dévoilement de ce nouvel objet dont parle la recherche "Transformation de la psychiatrie et pratiques des psychologues", (A Golse), propose "l’inscription de notre profession dans un livre spécifique du CSP ni médical ni paramédical (péri médical ?) En insistant sur la formation universitaire en sciences humaines qui doit absolument continuer à être dispensée en dehors des facs de médecines afin de garantir la pluralité des regards à l’hôpital.
Nous devons affirmer que nous contribuons aux prises en charges sanitaires et que le soin n’est pas l’exclusivité de la médecine ni des para médicaux."
Le syndicat FO, s’oppose, lui, à une entrée dans un code de la santé si restreint à la médecine centrée sur le biologique. FO demande le renforcement des décrets règlementant la profession et notamment" élever au rang de décret ces malheureuses circulaires qui se succèdent depuis 24 ans et qui définissent le rôle et les fonctions du psychologue hospitalier au Titre IV…" Est-ce que cela suffirait à faire bouger la prise en compte par la médecine de l’objet épistémique de la psychopathologie ? Au lieu de rentrer par la porte dans le code, FO propose de rester sur le pas de la porte, pourquoi pas ?

Ainsi ça n’est pas d’un petit arrangement avec la médecine en intégrant les psychologues comme auxiliaires de santé dans le code de la santé dont il s’agit. Mais il s’agit apporter une réponse raisonnable à la prise en compte de la souffrance humaine, que nous accueillons non pas selon les protocoles d’une médecine repliée sur le biologique et le pharmacologique coûteux mais selon une approche basée sur l’écoute de cette parole souffrante dans sa singularité, dans le cadre d’une élaboration et d’une compréhension raisonnée de celle-ci. Le cadre conceptuel de cette approche prend ses racines dans les sciences humaines, la psychologie et la psychopathologie en particulier.

Un territoire psychologique à côté du territoire médical.

En conclusion, les propositions des divers acteurs de cette table ronde se rejoignent. Non pour prendre acte d’ une régression à la prise en compte de la souffrance humaine mais pour renforcer les moyens de la prendre en compte dans un rapport réciproque corps/esprit , par la médecine dans son domaine mais surtout, par les disciplines récentes telles la psychopathologie, la psychologie, devenues disciplines à part entière des sciences humaines au lendemain de la guerre et non plus considérée comme une branche de la philosophie et de la médecine.

Une préconisation pourrait être la création d’un pôle de psychopathologie et de psychiatrie en lien avec la recherche universitaire en psychologie clinique et psychopathologique afin de développer des méthodes et outils pour une meilleure compréhension de la vie psychique. Ces pôles pourraient être sous la responsabilité d’un psychologue ou d’un psychiatre ayant acquis un doctorat de troisième cycle.
Une vraie politique de santé publique se doit d’innover et permettre une amélioration de la qualité des soins qui doivent tenir compte des aspects psychologiques des patients atteints dans leur corps et leur âme.

 

Jean Paul Aubel
Psychologue hospitalier en pédopsychiatrie.