L’inconscient peut calculer la date de la naissance

Il s’agit de décrire ici une petite découverte que nous avons faite, le Professeur Papiernik et moi-même, dans une consultation prénatale. Le mot "découverte" est peut-être ambitieux. Il s’agit d’un fait clinique d’observation dont nous avons reconnu l’importance, mais qui semble être toujours passé inaperçu avant nous dans les communautés médicale et psychanalytique (1).

Il s’agit du fait suivant : pour bien des femmes la date involontairement prévue pour la naissance sera une date non venue du hasard, mais commémorative d’un autre événement du passé et dont la réapparition comme date de naissance de l’enfant prend valeur de répétition. Ce fait, cette date d’accouchement ou de prévision d’accouchement, cette date commémorative, nous l’avons découverte dans un contexte précis : celui des grossesses survenant après antécédent obstétrical traumatique avec mort de l’enfant (2,3). Pour beaucoup de ces femmes malgré la contraception moderne, et malgré la programmation volontaire des naissances, la grossesse que nous avons à suivre annonce son terme pour une date correspondant, en date de calendrier, avec celle de l’issue tragique de la grossesse précédente. Un exemple : une femme a mis au monde un enfant mort-né un 3 septembre. Déprimée, elle décide d’en rester là et pratique une contraception par stérilet, efficace pendant 5 ans. Cinq années plus tard, elle a la surprise d’être enceinte malgré son stérilet et le calcul de son terme montre qu’elle va accoucher un 3 septembre, 5 ans plus tard, jour pour jour.

Dans un deuxième temps, nous avons communiqué notre petite découverte à nos collègues accoucheurs gynécologues, sages-femmes et il est apparu, grâce à l’expérience des uns et des autres, que, loin d’être réservé aux grossesses difficiles, dont nous avions la spécialité, ce phénomène : le calcul inconscient de la date prévue pour la naissance, avait un caractère plus général. Il s’y est ajouté que la date de la conception elle-même pouvait aussi être significative. Rapidement, la moisson des faits a été importante et la très grande fréquence de ce phénomène exclut la possibilité d’une simple coïncidence factuelle.

Nous avons alors constaté qu’il pouvait s’agir d’autres commémorations. Ainsi, dans de nombreux cas, la date de naissance de l’un des parents de la femme enceinte, ou de son compagnon ; très souvent, il s’agit de la date de naissance de la mère de la femme qui attend l’enfant, ou bien de celle de son propre anniversaire, date importante pour elle s’il en est. Disons au passage que la facilité avec laquelle émerge ce signe, souvent dès le premier entretien obstétrical, laisse penser qu’il n’est pas profondément refoulé. D’autres fois, le deuil mémorable et commémorable n’est pas celui d’un enfant, mais celui d’un parent disparu, père ou mère, ou celui du deuil d’un organe vital. Ainsi nous avons connu une femme néphrectomisée pour laquelle la maternité était interdite par les néphrologues et dont la grossesse malgré contraception venait à son terme pour une date d’accouchement correspondant à la date anniversaire de son intervention chirurgicale.

Ailleurs enfin, la commémoration peut être celle de l’événement heureux par excellence, la naissance du premier enfant. Nous rencontrons ainsi souvent des femmes qui involontairement tendent à accoucher toujours à la même date du calendrier. Par exemple cette femme qui a eu un premier enfant le 7 janvier dont elle a dit " c’est le cadeau oublié par les rois". Une infertilité secondaire s’est installée pendant trois ans. Puis à la quatrième année, enfin enceinte, son terme est calculé involontairement pour le 8 janvier. A l’époque moderne de la contraception, de la programmation volontaire des grossesses, on pourrait s’attendre à ce que les dates de naissance coïncident avec les choix conscients des sujets. Or souvent il n’en est rien. Au contraire, et complètement en dehors de la volonté de la femme, la date qui surgit comme date prévue de la naissance est soit celle d’un deuil douloureux, soit celle d’un événement commémoratif. L’inconscient célèbre aussi bien les événements heureux que malheureux. Les seconds sont seulement plus fréquents.

Commentaires :

1°) L’inconscient est-il capable d’une opération de calcul ? (4). Si la date de naissance n’est pas volontairement décidée, si la femme se laisse aller à devenir enceinte selon le mouvement naturel de son inconscient, la date prévue pour la naissance doit être le résultat d’un calcul inconscient, c’est-à-dire d’une opération involontaire d’addition ou de soustraction. En tout cas il s’agit d’une opération simple, portant sur le moment d’une durée fixée par la biologie : les 40 semaines et demie de la gestation (280 jours) à l’intérieur d’une période numériquement limitée : les 365 jours de l’année, période qui se répète cycliquement sur le calendrier : jours, mois, semaines, saisons. L’effet de ce calcul est de produire une date signifiante. Enfant perdu, enfant gagné, parent perdu, organe vital prélevé, ou bien sa propre naissance.

2°) L’inconscient et le temps. Depuis Freud on a toujours considéré que l’inconscient était indifférent au temps du calendrier. En fait, dans notre exemple, on peut dire que l’inconscient a enregistré la durée des 280 jours de la grossesse, durée connue de façon immémoriale dans toutes les civilisations. L’inconscient ignore le temps mais il n’est pas étranger aux cycles. Il ignore le temps à l’échelle de la vie humaine mais il tient compte du temps astronomique qui se répète de façon cyclique à travers les saisons. On en a le témoignage dans les maladies périodiques, à répétition saisonnière, dans certaines psychoses maniaco-dépressives et dans les commémorations de deuil involontaires. Certains sujets tombent malades lorsqu’ils atteignent l’âge du décès de leur père ou de leur mère. Donc le temps cyclique est un temps investi. En outre, si l’inconscient est bien une mémoire en acte, une réserve de signes toujours disponibles, prêts à resurgir, la disposition cyclique du temps du calendrier est une véritable sollicitation à faire réapparaître une date refoulée, prête à faire retour, à être remémorée si l’occasion se présente. Et la grossesse peut être cette occasion d’autant que, comme nous le savons, c’est une période de grande transparence aux contenus inconscients (5). Par ailleurs on pourrait aussi imaginer une étude soigneuse des dates du décès des sujets, en confrontant celles-ci à l’histoire rétrospective de leur cycle de vie. Cette étude pourrait amener à des corrélations du même type : la date du décès est peut-être souvent une date significative.

3°) Pour revenir à la grossesse et en conclusion pratique, le calcul de la date de naissance peut être un élément de surveillance pour les accoucheurs, de femmes ayant des antécédents obstétricaux. Avec elles, au cours des entretiens prénatals, on cherche la date qui s’annonce pour la naissance ; si cette date est une date commémorative on pourra dans certains cas prévenir des accidents explicables par la tendance inconsciente à la répétition des catastrophes. Ainsi cette femme qui au cours d’une grossesse tardive ne cessait de répéter aux accoucheurs que la date du 3 mai prévue pour le terme était une date néfaste pour elle et qu’elle craignait, comme pour les grossesses précédentes, de ne pas y arriver. En effet, elle avait successivement accouché d’un prématuré au mois de mars trois ans plus tôt, et l’année suivante en avril, un hématome rétroplacentaire l’avait conduite à une césarienne avec mort d’enfant. La date du 3 mai pour laquelle l’accouchement était prévu était la date de naissance de sa mère à laquelle la liait la relation la plus négative qui soit. Pourtant, pour la troisième fois, cette date du début mai était la date prévue de la naissance. Ce fait n’avait pas été pris en compte par les équipes obstétricales précédentes qui ignoraient ce type d’alarme. A la troisième grossesse, une césarienne systématique, sans rationalité "médicale" à proprement parler, est décidée deux jours avant le terme, lui donnant enfin un enfant vivant.

Pour conclure, on peut dire que le calcul de l’inconscient procède à une opération de ressouvenir en acte. L’émergence d’une date commémorative est en effet un phénomène qui le plus souvent échappe aux commentaires, échappe au langage. C’est la date en elle-même qui est significative. Cette date est un signe souvent destiné à être perdu : une prématurité ou un déclenchement médical peuvent introduire une autre date pour l’État Civil. La date significative, prévue par l’inconscient pour la naissance, dort alors définitivement dans le dossier de l’accoucheur !!

Notes bibliographiques
1. Papiernik E., Bydlowski M. (1989), Vincent Van Gogh (Syndrome de) ou "l’esprit et le corps dans la fertilité". In : J.?Dormont, O.?Bletry, J-F. Delfraissy (Eds), Les 365 nouvelles maladies, Flammarion Paris, p.544.
2. Bydlowski M., Bydlowski R. (1976), Le cauchemar de la naissance. Contribution à la la représentation inconsciente de l’accouchement, Topique , 17, 139-155.
3. Bydlowski M., Papiernik E. (1978). La névrose traumatique post-obstétricale. "Signal symptôme" dans la prophylaxie des accidents périnataux. Médecine et Hygiène, 36,1272, 352-354.
4. Bydlowski M. (1978), Les enfants du désir. Le désir d’enfant dans sa relation à l’inconscient, Psychanalyse à l’Université, 4, 13, 59-92.
5. Bydlowski M. (1991). La transparence psychique de la grossesse, Etudes freudiennes, 32, 2-9.
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