Hospitalisation d’office : les portes se referment sur les patients

Par voie de circulaire interne, Roselyne Bachelot et Brice Hortefeux viennent de durcir les dispositions liées à l’hospitalisation d’office (HO), qui constitue, avec l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT), la seule situation où une personne peut être privée de liberté sans intervention d’un juge. Pour faire passer leurs consignes, ils ont choisi la discrétion : leurs services confirment l’existence de ce document, mais n’en souhaitent pas la diffusion.

Dans le sillage du discours de Nicolas Sarkozy sur l’enfermement psychiatrique prononcé le 2 décembre 2008 à l’hôpital d’Antony, les ministres de la santé et de l’intérieur donnent ainsi un avant-goût de la réforme de la santé mentale en préparation.

Adressé aux préfets le 11 janvier 2010, ce texte, dont le ministère de la santé assure qu’il « ne modifie en rien le dispositif existant », concerne les quelque 12.000 hospitalisations forcées qu’ils prononcent chaque année. Il rend plus difficiles les sorties d’essai, pourtant prévues dans le Code de la santé publique comme des sas entre l’intérieur et l’extérieur de l’hôpital visant à favoriser la « guérison », la « réadaptation » et la « réinsertion sociale » des patients.

Pour prendre leur décision, les préfets, indique la circulaire, doivent disposer d’« éléments précis et objectifs » sur le profil et les antécédents du patient. Ce qui laisse entendre que les certificats médicaux délivrés jusqu’à présent manquaient d’informations.

Rédigés par les psychiatres, ces avis ne peuvent plus, désormais, se résumer à un état clinique de la personne. Ils doivent être « accompagnés d’éléments de nature à éclairer l’appréciation préfectorale sur les risques de troubles à l’ordre public », insiste la circulaire. Les nouvelles données exigées sont listées : « des indications claires sur l’organisation de la surveillance médicale précisées par le médecin », des « éléments objectifs relatant les circonstances de l’hospitalisation : date, antécédents d’HO, et notamment en UMD (unité pour malades difficiles), précisées par le chef d’établissement » et d’« éventuelle décision judiciaire concluant à l’irresponsabilité pénale précisée par le chef d’établissement ou à défaut obtenue directement par l’autorité publique ».

Les préfets se voient aussi octroyer un délai incompressible de 72 heures pour se positionner. Et, comme pour les rassurer, la circulaire souligne qu’« au regard de la jurisprudence administrative actuelle », leur décision n’est pas « susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ».
Pas de recours pour excès de pouvoirDe quoi susciter l’inquiétude des organisations syndicales de psychiatres et de collectifs comme La nuit sécuritaire. « Il est clair qu’on veut faire jouer à la psychiatrie publique le rôle d’auxiliaire d’un pouvoir normatif et sécuritaire. Les psychiatres des hôpitaux refusent de servir d’alibis à la rétention de personnes dont l’état de santé réclame la sortie », font valoir le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) et l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (Idepp) dans un communiqué commun. « Sous des prétextes de sécurité publique, estime de son côté le Syndicat des psychiatres d’exercice public (Spep), ce texte vise à stigmatiser les personnes dont nous nous occupons, considérées plutôt comme des délinquants potentiels que comme des sujets souffrant de troubles susceptibles d’être soignés. »

Chef de service au Centre hospitalier de Clermont de l’Oise (Oise), Isabelle Montet, également secrétaire générale du SPH, dénonce le « climat de peur qui s’installe ». « Avec ce fichage, regrette-t-elle, le passé judiciaire du patient compte autant voire plus que son état clinique. On n’est plus dans le médical, mais dans la prédiction. » « Les Ddass (directions départementales des affaires sanitaires et sociales), censées transmettre nos avis aux préfets, commencent à nous demander de fournir des renseignements qu’elles n’exigeaient pas auparavant. Chacune y va de son interprétation, ce qui accroît les risques d’arbitraire », ajoute-t-elle.

« Notre travail est ralenti par ces nouvelles exigences », renchérit Angelo Poli, chef de pôle à l’hôpital Saint-Cyr au Mont d’Or (Rhône) et président du Spep. « On va devoir limiter les sorties d’essai, ce qui va automatiquement ralentir le processus des sorties définitives », souligne-t-il.

Passée au second plan avec le vote de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », la réforme de la loi de 1990 régissant l’hospitalisation sans consentement n’a pas pour autant été enterrée. Quelques représentants syndicaux ont été convoqués, fin janvier, au ministère de la santé, pour un état des lieux. La circulaire constitue un terrain d’échauffement en vue des débats que ne manquera pas de provoquer l’élaboration de la future loi.

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Vos commentaires

  • Le 9 février 2010 à 19:38, par psycho En réponse à : Hospitalisation d’office : les portes se referment sur les patients

    COMMUNIQUE DE PRESSE
    DE L’APPEL DES 39
    « En amalgamant la folie à une pure dangerosité sociale, en assimilant d’une façon calculée la maladie mentale à la délinquance, est justifié un plan de mesures sécuritaires inacceptables.
    Alors que les professionnels alertent régulièrement les pouvoirs publics non seulement sur les conditions de plus en plus restrictives de leur capacité de soigner, sur l’inégalité croissante de l’accès aux soins, mais aussi sur la mainmise gestionnaire et technocratique de leurs espaces de travail et d’innovation, une seule réponse leur a été opposée : attention danger, sécurisez, enfermez, obligez, et surtout n’oubliez pas que votre responsabilité sera engagée en cas « de dérapage ».
    Ceci est un extrait de l’appel lancé par le « groupe des 39 » il y a un an contre « la nuit sécuritaire »
    Près de 30 000 citoyens (soignants, patients, familles, etc.) l’ont signé.
    Nous, soignants en psychiatrie, affirmions dans cet appel :
    Devant tant de « dangerosité » construite, la psychiatrie se verrait-elle expropriée de sa fonction soignante, pour redevenir la gardienne de l’ordre social ? Nous, citoyens, psychiatres, professionnels du soin, du travail social, refusons de servir de caution à cette dérive idéologique de notre société. Nous refusons de trahir notre responsabilité citoyenne et notre éthique des soins dans des compromissions indignes et inacceptables. Nous refusons de voir la question des soins psychiques réduite à un pur contrôle sécuritaire criminalisant outrageusement la maladie mentale. Nous refusons d’être instrumentalisés dans une logique de surveillance et de séquestration.
    Un an après le discours sécuritaire s’amplifie.
    Il est appuyé par les projets de réforme de la loi de 1990, par des circulaires dont la dernière, en date 11 janvier 2010, provoque de toute part des réactions de colère tant la main mise du ministère de l’intérieur et « du maintien de l’ordre public » envahit le champ du soin pour tenter de l’assimiler à du gardiennage décidé par le préfet.
    Les raisons sanitaires sont bafouées : le préfet décide comme il veut et quand il veut si un patient hospitalisé en HO peut bénéficier de sortie d’essai « décidée » par les équipes soignantes
    Par la rédaction de cette circulaire, l’état stigmatise les équipes de soin, jugées laxistes ou incompétentes, s’autorise à restreindre les droits des patients et poursuit le chemin de leur ségrégation.
    Le collectif des 39 se félicite des réactions unanimes de la profession contre cette circulaire
    Il appelle toutes les associations et syndicats de la profession, les parents, les patients, à mener une action unitaire massive contre cette politique inacceptable et à élaborer des pratiques respectueuses des droits et libertés.
    Le collectif des 39 est prêt à engager toute son énergie afin qu’une action de grande ampleur puisse se réaliser. C’est là le seul moyen de stopper cette machine infernale.
    www.collectifpsychiatrie.fr

  • Le 7 mai 2010 à 17:09, par kadija TURKI En réponse à : Hospitalisation d’office : les portes se referment sur les patients

    Il existe un site web sur l’hospitalisation d’office

    http://www.hospitalisationsansconsentement.org

  • Le 13 mai 2010 à 08:31, par psycho En réponse à : Hospitalisation d’office : les portes se referment sur les patients

    Le projet de loi sur « l’hospitalisation sans consentement »
    permet-il encore une prise en charge thérapeutique ?

    Un projet de loi réformant les hospitalisations sous contrainte, dont le texte a été publié par le journal Libération le 2 avril dernier, est présenté ce mercredi au Conseil des Ministres en vue d’un passage au parlement à l’automne.

    Le Syndicat National des Psychologues s’élève contre ce projet qui fait totalement l’impasse sur la dimension soignante des prises en charge psychiatriques au seul profit de la contrainte.

    Vers des soins non thérapeutiques ?

    Ce projet de loi ne constitue pas une aide à la prise en charge thérapeutique des patients atteints de troubles psychiatriques. Plusieurs dispositions de ce projet de loi rentrent en totale contradiction avec le cadre nécessaire aux soins à apporter à des patients fragilisés par la maladie. En effet, une hospitalisation même débutée par nécessité sous contrainte, n’a de sens que si elle permet, in fine, une adhésion aux soins de la part du patient.

    Les psychologues intervenant en psychiatrie savent combien une approche du soin fondé sur l’écoute et la relation humaine permet d’instaurer un lien thérapeutique, le seul qui soit garant d’une véritable continuité dans les soins.

    Proposer des soins sans consentement en ambulatoire est une fausse solution faisant croire que, désormais, tous les patients seront soignés. Penser que l’administration d’un traitement en ambulatoire par la contrainte soignera un malade dont la pathologie (hallucinations ou délire de persécution) demande du temps et de la confiance envers une équipe soignante, est une erreur thérapeutique. Les hospitalisations sous contrainte répondent déjà aux situations extrêmes.

    Soigner… Mais pour le bien de qui ?

    Faire reposer l’hospitalisation sans consentement sur la seule dangerosité, sur le seul risque de trouble à l’ordre public - sans prendre en compte les enjeux de la maladie mentale - peut même induire un sentiment d’exclusion, voire de persécution chez des personnes déjà en souffrance. Ce projet fait, de plus, l’impasse sur la diminution des moyens humains (baisse des effectifs soignants) et matériels (fermeture des lits). Ne reposant que sur la contrainte, (soigner dehors sous la contrainte ou enfermer sous la contrainte), ce projet ne saurait constituer pour les patients, les familles et les soignants une politique de soins efficace et respectueuse des personnes.

    La peur de l’acte irraisonné ne peut servir de support à une loi. La peur de cet autre humain, si semblable et pourtant si différent, ne saurait suffire à organiser les soins sans consentement. La contrainte qui est, nous le savons, parfois nécessaire doit permettre de faire espérer un futur dans lequel une alliance thérapeutique sera possible.

    Un projet aux objectifs trop opaques

    Tel que nous le connaissons, ce projet de réforme de la loi de 90 ne remplit qu’un objectif sécuritaire à défaut d’avoir un objectif soignant !

    La psychiatrie a aussi mission de redonner une place dans la communauté humaine à des personnes dont les troubles psychiatriques peuvent les conduire à se sentir étrangers au monde et parfois à eux-mêmes.

    Le Syndicat National des Psychologues souhaite donc que ce projet de loi soit totalement rééquilibré en faveur de la dimension éthique et soignante de la psychiatrie à laquelle les psychologues participent pleinement.