Deux tribunes de deux intellectuels étrangers éclairent cette crise. C’est "le monde à l’envers".

Une précision d’entrée : ces deux tribunes ne sont pas des analyses du mouvement des gilets jaunes en tant que tel.

L’équipe
Jean-Marc Four Chroniqueur

Une précision d’entrée : ces deux tribunes ne sont pas des analyses du mouvement des gilets jaunes en tant que tel.

Mais c’est justement ça qui intéressant : elles décrivent des phénomènes beaucoup plus larges, au niveau mondial. Et les gilets jaunes peuvent se regarder à travers ces grilles de lecture.

A la plume, il y a deux intellectuels : l’un économiste reconnu, chilien, Andres Velasco ; l’autre historien des idées, américain, Mark Lilla.

Commençons par Velasco. Sa tribune est parue dans la revue « Project Syndicate  » la semaine dernière.

Il essaie de comprendre quel est le point commun à tous les mouvements dits « populistes » qui secouent la planète.

Premier constat, dit Velasco : aujourd’hui, un milliard de personnes, entre les Américains, les Brésiliens, les Philippins, les Turcs, les Hongrois, ont placé leur destin entre les mains de dirigeants se revendiquant du populisme.

Au premier coup d’œil, écrit l’économiste chilien, on est tenté de penser que ce phénomène est déclenché par un sentiment d’injustice sociale, une envie de redistribution économique.

On rejoint bien là une revendication centrale des gilets jaunes.

Sauf que, poursuit Velasco, cette hypothèse ne survit pas à l’examen.

1. Les électeurs de Trump, de Bolsonaro, de Orban, ne sont pas nécessairement les plus démunis économiquement.

2. Si la redistribution était la revendication centrale, cela favoriserait plutôt la gauche. Ce n’est pas le cas, sauf peut-être au Mexique.

Donc même s’il y a effectivement un sentiment d’injustice sociale, ce n’est pas l’élément central et commun à tous ces mouvements.

Contrecoup culturel et dédain politique
Andres Velasco examine une 2ème hypothèse : ces mouvements seraient nourris par le « contrecoup culturel ».

Un sentiment de marginalisation, de perte d’identité face à la mondialisation et aux phénomènes migratoires.

Pour l’économiste chilien, c’est une hypothèse plus pertinente.

Mais elle n’explique pas que ces mouvements populistes touchent des pays sans immigrés, par exemple la Hongrie ou la Pologne. Et elle n’a pas de sens pour décrire la situation aux Philippines ou en Turquie.

Andres Velasco avance donc une 3ème hypothèse : le vrai point commun à toutes ces fièvres populistes, quel que soit le pays, c’est la colère contre l’arrogance des élites.

Et c’est bien ça que l’on sent et entend aujourd’hui en France.

L’intellectuel chilien cite des exemples variés : le dédain d’Hillary Clinton pour les électeurs de Donald Trump, la corruption de la classe politique brésilienne, les habitudes de monopole du pouvoir par les sociaux-démocrates en Europe.

Autant de traductions du même phénomène, je cite Velasco : « les élites politiques traditionnelles sont de plus en plus coupées du monde réel ». Sans changement politique, "le populisme va continuer de croitre".

La structuration idéologique de la droite radicale
La question suivante, et c’est d’ailleurs la question posée aux gilets jaunes aujourd’hui, c’est celle de la traduction politique de cette colère ». Et c’est là où il est utile de lire cette fois la tribune de Mark Lilla.

C’est paru ce matin dans The New York Review of Books.

L’intellectuel américain décortique la structuration idéologique au sein de la droite radicale française.

Parce qu’encore une fois, on est frappé par le fait que tous ces mouvements de colère dans le monde profitent davantage à la droite radicale qu’à la gauche.

Ça s’explique en partie par la professionnalisation de l’extrême droite sur les réseaux sociaux, avec fausses informations à gogo à la clé.

Mais ce que démontre Mark Lilla, c’est surtout le développement d’un corpus idéologique complet au sein de la droite radicale.

Le chercheur américain se penche sur la pensée de Steve Bannon, l’ex conseiller de Trump qui désormais arpente l’Europe, et sur le travail de réflexion initié autour de Marion Maréchal Le Pen : une conception du monde détaillée, complète. 

Et là aussi, écrit Lilla, il y a une arrogance des élites françaises qui ne regardent pas ce sujet sérieusement.

Bannon, qui, tiens tiens, sera après-demain à Bruxelles aux côtés de Marine Le Pen, Bannon donc est regardé avec condescendance. A tort. Il a de vraies intuitions politiques, affirme Lilla.

Ce que Mark Lilla laisse entendre, c’est que la droite extrême est aujourd’hui l’un des seuls lieux où la politique se réfléchit vraiment. Et de plus en plus.

Donc c’est mécaniquement le canal politique le plus à même de tirer les marrons du feu de la colère déclenchée par l’arrogance des élites.

En France comme ailleurs.

 

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Jean-Marc FourChroniqueur